Guide pour les victimes de violences policières,
en 17 fiches pratiques et juridiques

Version 2.2 publiée le 13/03/2024

Lutter pour une
enquête efficace

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On appelle enquête « effective » une enquête rapide, indépendante, impartiale et approfondie, bref une vraie enquête ! Ces principes sont édictés par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Ils sont essentiels : ce sont les seules règles spécifiques pour les enquêtes contre des forces de l’ordre. Rappelez-les sans cesse à la justice lors du traitement de votre plainte !

Dans cette fiche :

Pourquoi et comment utiliser la jurisprudence de la CEDH ?
Quand devrait-il y avoir une enquête effective ?
Quels devraient être les objectifs d’une enquête effective ?
Qu’est-ce qu’une enquête « rapide » ?
Qu’est-ce qu’une enquête « indépendante » ?
Qu’est-ce qu’une enquête « objective et impartiale » ?
Qu’est-ce qu’une enquête « approfondie » et « vaste »  ?

Pourquoi et comment utiliser la jurisprudence de la CEDH ?

Le droit français ne prévoit aucune règle spécifique pour le traitement des enquêtes sur la police. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) constitue donc la source de droit la plus importante (pour ne pas dire la seule). Les décisions qu’elle rend définissent pas à pas ce que devrait être une « enquête effective » à travers une série de principes détaillés ci-dessous. Ces règles édictées par la CEDH sont loin d’être indiscutables. Par exemple, la CEDH estime que l’IGGN (inspection de la gendarmerie) présente une « indépendance suffisante »note. Sa jurisprudence est aussi loin d’être complète : elle ne fait que répondre aux questions qui lui sont posées dans les requêtes. Par exemple, elle ne s’est jamais prononcée sur l’indépendance de l’IGPN. En tous cas, les juridictions françaises doivent toujours (en principe…) respecter la jurisprudence de la CEDH, même si elle concerne d’autres pays, car elle contient des principes généraux, rédigés de façon très détailléebook_2. A chaque étape de votre plainte, il est donc utile de vous référer aux règles fixées par la CEDH pour rappeler aux autorités ce qu’elles sont censées faire… et qu’elles font rarement si vous ne les y poussez pas.

Quand devrait-il y avoir une enquête effective ?

Pour la CEDH, quand une personne est mortebook_2 alors qu’elle se trouvait aux mains de la police, l’État doit conduire une « enquête officielle effective ». C’est aussi le cas si une personne affirme « de manière défendable » (avec des certificats médicaux) avoir subi des « mauvais traitements »note. Il peut s’agir de violences physiquesbook_2 avec ou sans armes, même d’une giflenote. C’est à l’État de prouver qu’aucune faute n’a été commise, et non à la victime de prouver que la violence était illégitime. Si les autorités sont incapablesnote de fournir une « explication satisfaisante et convaincante » sur l’origine des blessures apparues quand la victime « se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police », les violences sont considérées comme illégitimes. Les autorités judiciaires doivent bien sûr ouvrir une enquête si vous déposez plainte. Elles devraientnote aussi le faire « d’office », même sans plaintebook_2, « dès que l’affaire est portée à leur attention » (par exemple si le procureurbook_2 apprend que vous avez été blessé·e en garde à vue, à la lecture de votre PV d’audition ou d’un certificat médical).

Quels devraient être les objectifs d’une enquête effective ?

Pour la CEDH, à défaut d’enquête « effective », l’interdiction des mauvais traitements serait « inefficace en pratique »note puisqu’il serait possible « à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle ». L’enquête doit donc « pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables » pour que ceux-ci aient « à rendre des comptes »note. Il s’agit d’une obligation de moyens, mais pas de résultat. Autrement dit, il faut seulementnote qu’il n’y ait pas de « défaillances blâmables dans les efforts déployés » pour rechercher les auteurs des faits. La possibilité de faire condamner l’État de manière générale (devant le tribunal administratif)book_2 ne suffit pas : l’enquête doit chercher les responsables individuels et s’inscrire dans le cadre de lois pénalesnote. Cela implique aussi que les auteurs soient démis de leurs fonctionsnote en cas de condamnation (sanctions disciplinaires). Ils devraient également être suspendus le temps de l’enquête. Enfin, l’enquête effective devrait permettre à la victime d’obtenirnote une indemnisationbook_2 pour le préjudice que lui a causé le mauvais traitement.

Qu’est-ce qu’une enquête « rapide » ?

La CEDH impose note « une exigence de célérité et de diligence raisonnable ». Il peut y avoir « des obstacles ou des difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière », mais une « réponse rapide » des autorités est essentielle « pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux ». Tout retard dans l’identification des témoins ou dans le recueil de leurs dépositions doit être justifiénote par des contraintes précises. Par exemple, un délai de cinq ans entre la plainte et l’arrêt définitif rendu par la Cour de cassation violenote le principe de célérité, à moins que le contenu de l’enquête (si elle est particulièrement complète) ne compensenote cette lacune. Un délai de huit mois pour la simple transmission du dossier à l’autorité compétente (par exemple, du procureur vers un service d’enquête) est illégalnote si ce délai n’est « pas expliqué ». Enfin, l’absence d’actes d’enquêtes de la part du juge d’instructionbook_2 peut être en elle-même illégalenote, par exemple s’il n’a rien fait pendant une période de 6 mois puis d’un an. Le juge doitnote auditionner les policiers impliqués « au début de l’instruction », et non plusieurs années après les faits.

Qu’est-ce qu’une enquête « indépendante » ?

Il fautnote que « les institutions et les personnes » chargées de l’enquête soient « indépendantes des personnes qu’elle vise ». Il y a défaut d’indépendancenote si « un procureur a une relation de travail étroitebook_2 avec un corps de police particulier » mis en cause dans l’affaire. Le début des investigations est « crucial ». Si l’enquête contient des défaillances, « l’intervention ultérieure d’une autorité indépendante » ne peut y remédier. Les enquêtes menées par des « collègues directs » de ceux mis en cause sont prohibées, par exemple s’ils exercent dans le même « bureau »note (commissariat), sauf si « très peu d’actes »note d’enquête ont été menés dans ce cadre. C’est aussi le cas si l’enquête est menée par des policiers appartenant au même corpsbook_2 et exerçant dans la même villenote que ceux en cause, ou si le responsable d’enquête dépend de la même « hiérarchie locale »note. Mais si le début de l’enquête menée par des collègues assez proches du mis en cause n’a concerné que quelques investigations et ne contient aucune « carence », ce n’est pas illégalnote. Enfin, si le ministère de l’Intérieur déclarenote aux médias que la plainte est infondée avant la fin de l’enquête, les enquêteurs du ministère perdent leur indépendance.

Qu’est-ce qu’une enquête « objective et impartiale » ?

L’indépendance des enquêteurs ne suffit pas : il fautnote aussi que « les conclusions de l’enquête » se fondent « sur une analyse méticuleuse, objective et impartiale ». L’enquête ne doit pas être menée à charge contre la victime. C’est le cas si elle s’efforcenote « d’établir que les accusations des requérants étaient fausses » en pointant « les inexactitudes qu’elles contenaient » mais qu’elle s’abstient « d’éclaircir l’ensemble des faits pertinents ». L’enquête ne doit pas accordernote « une importance prépondérante aux informations fournies par les gendarmes impliqués », ni appliquernote « des critères différents lors de l’évaluation des témoignages » de la victime et des policiers. En cas de déclarations contradictoires des policiers, l’enquête doit procédernote à des « confrontations » et entendre tous les agents qui dénonceraient le comportement de leurs collègues. Enfin, les expertisesbook_2 jouent un rôle essentiel, notamment pour établir si la cause des blessures ou du décèsbook_2 était d’origine policière. Si deux expertises font état de « contradictions évidentes », la justice ne doit pas privilégiernote l’un des deux rapports « sans chercher à élucider les différences ».

Qu’est-ce qu’une enquête « approfondie » et « vaste » ?

L’enquête doit être « approfondie » : elle doitnote « s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé » et ne doit pas « s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées ». Elle doit être également « vaste » et prendre en compte « non seulement les actes des agents de l’État qui ont eu directement et illégalement recours à la force, mais aussi l’ensemble des circonstances les ayant entourés ». La justice doit donc auditionner les différents témoinsbook_2 des faits eux-mêmes, mais aussi ceux qui ont assisté à des scènes proches dans le temps, comme par exemple un commissaire qui a rencontré la victime après les faits, ou les médecins ayant établi les certificats médicauxbook_2. La mise à l’écart d’une « piste évidente » est illégalenote. La cause des blessures ou du décès doit faire l’objet d’une recherche spécifique. Si besoin, une expertise doit impérativementnote avoir lieu, par exemple pour vérifier si une marque de strangulation « avait pu être causée ou non par l’usage normal d’un bouclier ».

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Guide pour les victimes de violences policières,
en 17 fiches pratiques et juridiques

Version 2.1 publiée le 23/11/2023

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On appelle enquête « effective » une enquête rapide, indépendante, impartiale et approfondie, bref une vraie enquête ! Ces principes sont édictés par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Ils sont essentiels : ce sont les seules règles spécifiques pour les enquêtes contre des forces de l’ordre. Rappelez-les sans cesse à la justice lors du traitement de votre plainte !

Dans cette fiche :

Pourquoi et comment utiliser la jurisprudence de la CEDH ?
Quand devrait-il y avoir une enquête effective ?
Quels devraient être les objectifs d’une enquête effective ?
Qu’est-ce qu’une enquête « rapide » ?
Qu’est-ce qu’une enquête « indépendante » ?
Qu’est-ce qu’une enquête « objective et impartiale » ?
Qu’est-ce qu’une enquête « approfondie » et « vaste »  ?

Pourquoi et comment utiliser la jurisprudence de la CEDH ?

Le droit français ne prévoit aucune règle spécifique pour le traitement des enquêtes sur la police. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) constitue donc la source de droit la plus importante (pour ne pas dire la seule). Les décisions qu’elle rend définissent pas à pas ce que devrait être une « enquête effective » à travers une série de principes détaillés ci-dessous. Ces règles édictées par la CEDH sont loin d’être indiscutables. Par exemple, la CEDH estime que l’IGGN (inspection de la gendarmerie) présente une « indépendance suffisante »note. Sa jurisprudence est aussi loin d’être complète : elle ne fait que répondre aux questions qui lui sont posées dans les requêtes. Par exemple, elle ne s’est jamais prononcée sur l’indépendance de l’IGPN. En tous cas, les juridictions françaises doivent toujours (en principe…) respecter la jurisprudence de la CEDH, même si elle concerne d’autres pays, car elle contient des principes généraux, rédigés de façon très détailléebook_2. A chaque étape de votre plainte, il est donc utile de vous référer aux règles fixées par la CEDH pour rappeler aux autorités ce qu’elles sont censées faire… et qu’elles font rarement si vous ne les y poussez pas.

Quand devrait-il y avoir une enquête effective ?

Pour la CEDH, quand une personne est mortebook_2 alors qu’elle se trouvait aux mains de la police, l’État doit conduire une « enquête officielle effective ». C’est aussi le cas si une personne affirme « de manière défendable » (avec des certificats médicaux) avoir subi des « mauvais traitements »note. Il peut s’agir de violences physiquesbook_2 avec ou sans armes, même d’une giflenote. C’est à l’État de prouver qu’aucune faute n’a été commise, et non à la victime de prouver que la violence était illégitime. Si les autorités sont incapablesnote de fournir une « explication satisfaisante et convaincante » sur l’origine des blessures apparues quand la victime « se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police », les violences sont considérées comme illégitimes. Les autorités judiciaires doivent bien sûr ouvrir une enquête si vous déposez plainte. Elles devraientnote aussi le faire « d’office », même sans plaintebook_2, « dès que l’affaire est portée à leur attention » (par exemple si le procureurbook_2 apprend que vous avez été blessé·e en garde à vue, à la lecture de votre PV d’audition ou d’un certificat médical).

Quels devraient être les objectifs d’une enquête effective ?

Pour la CEDH, à défaut d’enquête « effective », l’interdiction des mauvais traitements serait « inefficace en pratique »note puisqu’il serait possible « à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle ». L’enquête doit donc « pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables » pour que ceux-ci aient « à rendre des comptes »note. Il s’agit d’une obligation de moyens, mais pas de résultat. Autrement dit, il faut seulementnote qu’il n’y ait pas de « défaillances blâmables dans les efforts déployés » pour rechercher les auteurs des faits. La possibilité de faire condamner l’État de manière générale (devant le tribunal administratif)book_2 ne suffit pas : l’enquête doit chercher les responsables individuels et s’inscrire dans le cadre de lois pénalesnote. Cela implique aussi que les auteurs soient démis de leurs fonctionsnote en cas de condamnation (sanctions disciplinaires). Ils devraient également être suspendus le temps de l’enquête. Enfin, l’enquête effective devrait permettre à la victime d’obtenirnote une indemnisationbook_2 pour le préjudice que lui a causé le mauvais traitement.

Qu’est-ce qu’une enquête « rapide » ?

La CEDH impose note « une exigence de célérité et de diligence raisonnable ». Il peut y avoir « des obstacles ou des difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière », mais une « réponse rapide » des autorités est essentielle « pour éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux ». Tout retard dans l’identification des témoins ou dans le recueil de leurs dépositions doit être justifiénote par des contraintes précises. Par exemple, un délai de cinq ans entre la plainte et l’arrêt définitif rendu par la Cour de cassation violenote le principe de célérité, à moins que le contenu de l’enquête (si elle est particulièrement complète) ne compensenote cette lacune. Un délai de huit mois pour la simple transmission du dossier à l’autorité compétente (par exemple, du procureur vers un service d’enquête) est illégalnote si ce délai n’est « pas expliqué ». Enfin, l’absence d’actes d’enquêtes de la part du juge d’instructionbook_2 peut être en elle-même illégalenote, par exemple s’il n’a rien fait pendant une période de 6 mois puis d’un an. Le juge doitnote auditionner les policiers impliqués « au début de l’instruction », et non plusieurs années après les faits.

Qu’est-ce qu’une enquête « indépendante » ?

Il fautnote que « les institutions et les personnes » chargées de l’enquête soient « indépendantes des personnes qu’elle vise ». Il y a défaut d’indépendancenote si « un procureur a une relation de travail étroitebook_2 avec un corps de police particulier » mis en cause dans l’affaire. Le début des investigations est « crucial ». Si l’enquête contient des défaillances, « l’intervention ultérieure d’une autorité indépendante » ne peut y remédier. Les enquêtes menées par des « collègues directs » de ceux mis en cause sont prohibées, par exemple s’ils exercent dans le même « bureau »note (commissariat), sauf si « très peu d’actes »note d’enquête ont été menés dans ce cadre. C’est aussi le cas si l’enquête est menée par des policiers appartenant au même corpsbook_2 et exerçant dans la même villenote que ceux en cause, ou si le responsable d’enquête dépend de la même « hiérarchie locale »note. Mais si le début de l’enquête menée par des collègues assez proches du mis en cause n’a concerné que quelques investigations et ne contient aucune « carence », ce n’est pas illégalnote. Enfin, si le ministère de l’Intérieur déclarenote aux médias que la plainte est infondée avant la fin de l’enquête, les enquêteurs du ministère perdent leur indépendance.

Qu’est-ce qu’une enquête « objective et impartiale » ?

L’indépendance des enquêteurs ne suffit pas : il fautnote aussi que « les conclusions de l’enquête » se fondent « sur une analyse méticuleuse, objective et impartiale ». L’enquête ne doit pas être menée à charge contre la victime. C’est le cas si elle s’efforcenote « d’établir que les accusations des requérants étaient fausses » en pointant « les inexactitudes qu’elles contenaient » mais qu’elle s’abstient « d’éclaircir l’ensemble des faits pertinents ». L’enquête ne doit pas accordernote « une importance prépondérante aux informations fournies par les gendarmes impliqués », ni appliquernote « des critères différents lors de l’évaluation des témoignages » de la victime et des policiers. En cas de déclarations contradictoires des policiers, l’enquête doit procédernote à des « confrontations » et entendre tous les agents qui dénonceraient le comportement de leurs collègues. Enfin, les expertisesbook_2 jouent un rôle essentiel, notamment pour établir si la cause des blessures ou du décèsbook_2 était d’origine policière. Si deux expertises font état de « contradictions évidentes », la justice ne doit pas privilégiernote l’un des deux rapports « sans chercher à élucider les différences ».

Qu’est-ce qu’une enquête « approfondie » et « vaste » ?

L’enquête doit être « approfondie » : elle doitnote « s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé » et ne doit pas « s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées ». Elle doit être également « vaste » et prendre en compte « non seulement les actes des agents de l’État qui ont eu directement et illégalement recours à la force, mais aussi l’ensemble des circonstances les ayant entourés ». La justice doit donc auditionner les différents témoinsbook_2 des faits eux-mêmes, mais aussi ceux qui ont assisté à des scènes proches dans le temps, comme par exemple un commissaire qui a rencontré la victime après les faits, ou les médecins ayant établi les certificats médicauxbook_2. La mise à l’écart d’une « piste évidente » est illégalenote. La cause des blessures ou du décès doit faire l’objet d’une recherche spécifique. Si besoin, une expertise doit impérativementnote avoir lieu, par exemple pour vérifier si une marque de strangulation « avait pu être causée ou non par l’usage normal d’un bouclier ».