Accueil
1 | Je suis victime ou proche d’une victime de la police
2 | Déposer plainte
3 | Réunir les preuves
4 | Les premiers pas de l’enquête
5 | Victime mise en cause par la police
6 | Après le classement sans suite
7 | Accéder à son dossier
8 | Bien choisir son avocat•e
9 | Lutter pour une enquête efficace
10 | Le procureur, un magistrat central
11 | Les services d’enquête
12 | Devant le juge d’instruction
13 | Les infractions policières
14 | Devant le tribunal
15 | Obtenir une condamnation de l’État
16 | Les sanctions disciplinaires dans la police
17 | Mettre en cause la justice
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Tous les schémas
Obtenir une condamnation
de l’État
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Les procédures devant le tribunal administratif sont moins connues et pourtant tout aussi importantes : elles peuvent permettre d’obtenir une indemnisation, mais aussi de « bousculer » positivement la justice pénale.
Dans cette fiche :
● Qu’est-ce que le tribunal administratif ?
● Quand puis-je saisir le tribunal administratif ?
● Qu’est-ce qu’une « faute » de l’administration ?
● Qu’est-ce que le « régime de responsabilité du fait des armes dangereuses » ?
● Qu’est-ce que le « régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements » ?
● Qu’est-ce que le « partage de responsabilité » ?
● Dans quels cas saisir le tribunal judiciaire ?
Qu’est-ce que le tribunal administratif ?
La justice française est organisée en deux « ordres » de juridictions. L’ordre « judiciaire » tranche les litiges entre les personnes privées et assure la répression des infractionsFiche 14. Devant le tribunalbook_2. L’ordre « administratif » tranche les litiges qui mettent en cause l’État ou les autres personnes publiques (collectivités locales, etc.). La juridiction suprême de l’ordre administratif est le Conseil d’État (CE). Il existe aussi des cours administratives d’appel (CAA). La juridiction de « première instance » (premier jugement avant un appel éventuel) est le tribunal administratif (TA). Les magistrats administratifs forment un « corps » distinct des magistrats judiciaires. Ils ne peuvent pasSourceArticle L231-3 du Code de justice administrativenote être nommés, déplacés ou promus sans leur consentement. La procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite. Les audiences sont très succinctes. En général, le tribunal statueSourceArticle L222-1 du Code de justice administrativenote de façon « collégiale » avec trois magistrats. Un « rapporteur public »SourceArticle L7 du Code de justice administrativenote joue un rôle similaire au procureurFiche 10. Le procureur, un magistrat centralbook_2 : il rend des « conclusions » (observations) avant l’audience, dans lesquelles il expose son opinion sur les litiges. L’ordre administratif est un « monde » à part entière, et il est conseillé de faire appel à un·e avocat·e spécialisé·eFiche 8. Bien choisir son avocat·ebook_2.
Quand puis-je saisir le tribunal administratif ?
Si vous avez subi un préjudiceFiche 3. Réunir les preuvesComment évaluer votre préjudice ?book_2 (décès d’un proche ou blessures par exemple) du fait de l’action de l’État ou d’une collectivité locale (police municipale par exemple), vous pouvez saisir le tribunal administratif (TA). Au préalable, vous devez faireSourceArticle R421-1 du Code de justice administrativenote une « demande indemnitaire » à l’administration en cause (en général, le ministre de l’Intérieur ou le préfet). Si elle refuse, ne répond pas pendant deux mois après votre demande (refus implicite), ou accepte une indemnisation moindre que celle que vous avez sollicitée, vous pouvez saisir le TA. La requête doit être déposéeSourceArticle R431-2, alinéa 2, du Code de justice administrativenote par un·e avocat·e, deux mois au plus tard après le refus (ou en cas de non-réponse, quatre mois après votre demande). La demande indemnitaire doit intervenirSourceArticle 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publicsnote quatre ans à partir de la fin de l’année des faits. Par exemple, si les faits datent du 7 mars 2020, le délai court jusqu’au 31 décembre 2024. L’ouverture d’une information judiciaire interrompt ce délaiSourceConseil d’État, 19 avril 2022, N° 457560note mais seulement si vous vous êtes constitué·e partie civileFiche 6. Après le classement sans suiteQu’est-ce que la « plainte avec constitution de partie civile » (CPC) ?book_2. Mais il n’est pas obligatoire d’attendre la fin de l’enquête judiciaire. Parfois, la décision du TA pourra d’ailleurs être utilisée dans le cadre du procès judiciaire. Contrairement au tribunal pénalFiche 14. Devant le tribunalbook_2, le TA n’a pas besoin d’identifier des coupables individuels. L’obtention d’une condamnation est donc souvent plus simple. Attention : il faut quand même que l’origine policière des faits soit prouvéeFiche 3. Réunir les preuvesComment prouver l'origine policière du décès ou des blessures ?book_2.
Quand le TA critique le procureur
Le tribunal administratif (TA) de Lyon a condamné l’État suite à la blessure infligée à M., victime d’un tir de LBD lors d’une manifestation le 9 février 2019. Le jugement retient en particulier que « deux tirs de lanceurs de balles de défense ont eu lieu à 16 h 40 rue de Marseille, dont l’un a atteint un manifestant à la jambe, ce qui concorde avec les circonstances décrites par la requérante ». Ce faisant, la justice administrative retient donc bien un lien de causalité entre le tir de LBD et la blessure, là où, sur la base du même dossier, l’enquête du procureur de la République concluait qu’« il est difficile d’affirmer que ces blessures soient le produit d’un impact de lanceur de balles de défense ». En outre, le jugement critique les lacunes de la justice pénale. Le TA considère que « l’enquête de police suite à la plainte de la requérante n’a permis de retrouver que l’un des deux policiers auteurs de tirs par lanceurs de balles de défense ».
Qu’est-ce qu’une « faute » de l’administration ?
En principe, vous devrez caractériser une « faute » pour engager la responsabilité de l’administration et obtenir sa condamnation. Il peut s’agir d’un usage de la force illégal, de la mauvaise formation des policiers ou gendarmes, d’un mauvais encadrement de l’usage des armes, etc., ou de l’ensemble de ces fautes. Il n’y a pas de loi en la matière. C’est la jurisprudence des tribunaux administratifs (l’ensemble des décisions rendues) qui fixe ce qu’est (ou pas) une faute. Traditionnellement, à cause de la « difficulté » des opérations de police, les tribunaux ne condamnent l’État que s’il y a eu une faute « lourde »SourceConseil D’État, 20 octobre 1972, n°80068note, c’est-à-dire particulièrement grave. Mais il s’agit d’une jurisprudence ancienne, susceptible d’évoluer peu à peu. Pour l’instant, les tribunaux administratifs évitent de définir ce qu’est une faute policière en cas de violences, en condamnant l’État sur la base d’un régime de « responsabilité du fait des attroupements »Dans cette ficheQu'est-ce que le régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements ?book_2. Mais ce régime juridique n’encadre en rien l’usage de la violence par la police et la gendarmerie. Aucune « faute » n’est jugée, donc les pratiques les plus illégales en théorie peuvent perdurer en pratique. En revanche, ce choix permet aux victimes d’obtenir une indemnisation plus facilement (en principe).
Qu’est-ce que le « régime de responsabilité du fait des armes dangereuses » ?
Les tribunaux administratifs admettent que certaines armes comportent « des risques exceptionnels pour les personnes ». Si elles ont été utilisées, une « faute simple » suffit à condamner l’État. Si la victime est étrangère à l’opération de police, il peut même y avoir condamnation « sans faute »SourceConseil d’État, 24 juin 1949, n°87335note(les modalités d’indemnisation sont allégées). Sont considérées comme armes « dangereuses » armes à feu dites « létales »SourceConseil d’État, 24 juin 1949, n°87335note (pistolet, fusil, etc.), un pistolet à impulsion électriqueSourceConseil d'État, 2 septembre 2009, n°318584note (« Taser »), mais pas des grenades lacrymogènesSourceConseil d’État, 16 mars 1956, Époux Domenech, n°25468 (non publié)note ou des crossesSourceConseil D’État, 12 février 1971, n°72495note. Les lanceurs de balles « de défense »SourceCour administrative d'appel de Nantes, 5 juillet 2018, n°17NT00411note (LBD) et les grenades à effet de souffleSourceTribunal administratif de Toulouse, 10 novembre 2021, n°1805497note (OFF1, GLI-F4, GM2L) ont également été considérés comme « dangereux » mais la jurisprudence n’est pas encore très claire. En effet, le Conseil d’État, qui est la juridiction suprême, affirme que les GLI-F4SourceConseil d'État, 17 mai 2019, n°429738note sont des armes « dangereuses » et que les LBDSourceConseil d'État, 01 février 2019, n°427386note ont « provoqué des blessures, parfois très graves ». Mais il ne précise pas quel régime de responsabilité doit s’appliquer. La discussion reste pour l’heure purement théorique : les tribunaux administratifs ne se prononcent que sur la base du régime de « responsabilité du fait des attroupements »Dans cette ficheQu'est-ce que le régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements ?book_2.
Qu’est-ce que le « régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements » ?
La loi prévoitSourceArticle L211-10 du Code de la sécurité intérieurenote un régime spécial d’indemnisation sans faute en cas de dégâts (matériels) ou dommages (physiques) ayant eu lieu au cours d’« attroupements ou rassemblements armés ou non armés ». La notion d’attroupement reste très floue et fluctuante selon les tribunaux. Il faut en général qu’il y ait un groupe agissant de manière spontanée et non préméditéeSourceConseil d'État, 30 décembre 2016, n°389835note. Mais il peut s’agirSourceConseil d'État, 3 octobre 2018, n°416352note d’un petit groupe non organisé à l’intérieur d’une manifestation organisée. L’État doit réparer tous les torts commis soit par l’attroupement lui-même, soit par la policeSourceConseil d’État, 23 février 1968, n°72416, 72417, 72455note pour rétablir l’ordre. Peu importe que les dommages aient été subis par des tiersSourceConseil d’État, 30 juin 1999, n°190038note ou par des personnes participant à l’attroupementSourceConseil d’État, 23 février 1968, n°72416, 72417, 72455note. Dans ce dernier cas, le tribunal pourra en revanche estimer qu’il y a un « partage de responsabilité »Dans cette ficheQu'est-ce que le «partage de responsabilité » ?book_2. Quoi qu’il en soit, si le tribunal retient qu’un attroupement était en cours et que les blessures que vous avez subies résultent d’une action de police à ce moment-là, vous aurez automatiquement droit à indemnisation.
Qu’est-ce que le « partage de responsabilité » ?
Dans de nombreux cas, les tribunaux estiment que la victime a commis une « faute », qui nécessite de diminuer le montant de son indemnisation. Le cas est très fréquent. Il y a faute de la victime si elle se maintientSourceCour administrative d'appel de Nantes, 5 juillet 2018, n°17NT00411note sur les lieux de l’attroupement après des sommations (réduction de 10 % de l’indemnisation, ou plus, selon les tribunaux et les affaires). Les juges considèrent que la victime a pris un risque qu’elle n’aurait pas dû prendre. Mais ce ne sera pas le cas si elle n’a pas entendu les sommations, ou si un temps très faibleSourceTribunal administratif de Lyon, 12 novembre 2020, n°1908886note s’est écoulé entre sommations et blessure. L’indemnisation peut être totalement suppriméeSourceCour administrative d'appel de Bordeaux, 13 décembre 1999, n°96BX00562note si la victime se saisit d’une « grenade dégoupillée dont [elle] ne pouvait ignorer le danger qu’elle représentait ». Là encore, cela dépend des tribunaux et des faits établis dans chaque affaire. La précision des éléments factuelsFiche 3. Réunir les preuvesbook_2 apportés au tribunal sera cruciale. Le « partage de responsabilité » est possible quel que soit le régime d’indemnisation : avec faute lourde, simple, ou sans faute.
Grenades : les seules personnes jugées fautives sont les victimes
Étienne Noël, l’avocat qui a défendu les proches de Rémi Fraisse devant les juridictions administratives, explique : « Dans le cadre du régime de responsabilité sans faute, le débat porte surtout sur la responsabilité de la victime. Et souvent, les tribunaux disent aux victimes, en gros : “tu n’avais qu’à pas être là” ». L’argumentaire des juridictions relève d’un cynisme total. Pour Rémi Fraisse, la cour de Toulouse explique que « les forces de l’ordre présentes sur le terrain n’avaient pas forcément conscience de la dangerosité potentielle des grenades offensives ». C’est notamment ce qui justifie qu’aucune faute n’est retenue contre l’État. En revanche, Rémi Fraisse « a fait preuve d’imprudence, alors même qu’il ne pouvait ignorer la dangerosité de la situation pour en avoir été le témoin direct lors de son arrivée sur la zone d’affrontement ». En résumé, les juridictions françaises semblent penser que les victimes sont mieux formées et informées sur le maniement des grenades que les policiers et gendarmes [qui les] leur lancent dessus.
Dans quels cas saisir le tribunal judiciaire ?
Si la faute a été commise à l’occasion d’une mission de police « judiciaire », vous devez saisirSourceArticle L141-1 du Code de l'organisation judiciairenote non pas le TA, mais le tribunal judiciaire (le tribunal ordinaire, qui tranche les litiges entre les personnes). En effet les agents de police et de gendarmerie ont deux casquettes : administrative quand ils assurent « l’ordre public », judiciaire quand ils enquêtent sur une infraction. La distinction est parfois simple : si les faits ont été commis pendant une interpellation ou une garde-à-vue, il s’agit de police judiciaire. En revanche, un policier peut tirer au LBD sur la foule pour disperser un attroupement (police administrative) ou pour interpeller une personne (police judiciaire). La distinction devient carrément arbitraire. Prenez conseil avec un·e avocat·e spécialisé·eFiche 8. Bien choisir son avocat·eSur quels critères choisir son avocat·e ?book_2 (il y en a peu) pour éviter de saisir la mauvaise juridiction. Vous devez saisir le tribunal judiciaire par le biais d’une « assignation »Fiche 17. Faire condamner la justiceQu'est-ce que la « la faute lourde » ou le « déni de justice » ?book_2. Mais si un procès pénalFiche 14. Devant le tribunalbook_2 est déjà convoqué, il vous suffit de faire « citer » l’Agent judiciaire de l’EtatSourceArticle 38 de la loi du 3 avril 1955 relative au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère des financesnote. Le tribunal devra suivre la jurisprudence administrative. Par exemple, en cas d’usage d’une arme dangereuse, une faute simple suffitSourceCour de Cassation, Chambre criminelle, 14 juin 2005, n°04-82.208note à faire condamner l’État.
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Guide pour les victimes de violences policières,
en 17 fiches pratiques et juridiques
Version 2.1 publiée le 23/11/2023
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1 | Je suis victime ou proche d’une victime de la police
2 | Déposer plainte
3 | Réunir les preuves
4 | Les premiers pas de l’enquête
5 | Victime mise en cause par la police
6 | Après le classement sans suite
7 | Accéder à son dossier
8 | Bien choisir son avocat•e
9 | Lutter pour une enquête efficace
10 | Le procureur, un magistrat central
11 | Les services d’enquête
12 | Devant le juge d’instruction
13 | Les infractions policières
14 | Devant le tribunal
15 | Obtenir une condamnation de l’État
16 | Les sanctions disciplinaires dans la police
17 | Mettre en cause la justice
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Les procédures devant le tribunal administratif sont moins connues et pourtant tout aussi importantes : elles peuvent permettre d’obtenir une indemnisation, mais aussi de « bousculer » positivement la justice pénale.
Dans cette fiche :
● Qu’est-ce que le tribunal administratif ?
● Quand puis-je saisir le tribunal administratif ?
● Qu’est-ce qu’une « faute » de l’administration ?
● Qu’est-ce que le « régime de responsabilité du fait des armes dangereuses » ?
● Qu’est-ce que le « régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements » ?
● Qu’est-ce que le « partage de responsabilité » ?
● Dans quels cas saisir le tribunal judiciaire ?
Qu’est-ce que le tribunal administratif ?
La justice française est organisée en deux « ordres » de juridictions. L’ordre « judiciaire » tranche les litiges entre les personnes privées et assure la répression des infractionsFiche 14. Devant le tribunalbook_2. L’ordre « administratif » tranche les litiges qui mettent en cause l’État ou les autres personnes publiques (collectivités locales, etc.). La juridiction suprême de l’ordre administratif est le Conseil d’État (CE). Il existe aussi des cours administratives d’appel (CAA). La juridiction de « première instance » (premier jugement avant un appel éventuel) est le tribunal administratif (TA). Les magistrats administratifs forment un « corps » distinct des magistrats judiciaires. Ils ne peuvent pasSourceArticle L231-3 du Code de justice administrativenote être nommés, déplacés ou promus sans leur consentement. La procédure devant les juridictions administratives est essentiellement écrite. Les audiences sont très succinctes. En général, le tribunal statueSourceArticle L222-1 du Code de justice administrativenote de façon « collégiale » avec trois magistrats. Un « rapporteur public »SourceArticle L7 du Code de justice administrativenote joue un rôle similaire au procureurFiche 10. Le procureur, un magistrat centralbook_2 : il rend des « conclusions » (observations) avant l’audience, dans lesquelles il expose son opinion sur les litiges. L’ordre administratif est un « monde » à part entière, et il est conseillé de faire appel à un·e avocat·e spécialisé·eFiche 8. Bien choisir son avocat·ebook_2.
Quand puis-je saisir le tribunal administratif ?
Si vous avez subi un préjudiceFiche 3. Réunir les preuvesComment évaluer votre préjudice ?book_2 (décès d’un proche ou blessures par exemple) du fait de l’action de l’État ou d’une collectivité locale (police municipale par exemple), vous pouvez saisir le tribunal administratif (TA). Au préalable, vous devez faireSourceArticle R421-1 du Code de justice administrativenote une « demande indemnitaire » à l’administration en cause (en général, le ministre de l’Intérieur ou le préfet). Si elle refuse, ne répond pas pendant deux mois après votre demande (refus implicite), ou accepte une indemnisation moindre que celle que vous avez sollicitée, vous pouvez saisir le TA. La requête doit être déposéeSourceArticle R431-2, alinéa 2, du Code de justice administrativenote par un·e avocat·e, deux mois au plus tard après le refus (ou en cas de non-réponse, quatre mois après votre demande). La demande indemnitaire doit intervenirSourceArticle 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publicsnote quatre ans à partir de la fin de l’année des faits. Par exemple, si les faits datent du 7 mars 2020, le délai court jusqu’au 31 décembre 2024. L’existence d’une procédure en cours devant le tribunal judiciaire (information judiciaire par exemple) n’interrompt pasSourceConseil d’État, 23 décembre 1987, n°23519note ce délai. N’attendez donc pas ! Parfois, la décision du TA pourra d’ailleurs être utilisée dans le cadre du procès judiciaire. Contrairement au tribunal pénalFiche 14. Devant le tribunalbook_2, le TA n’a pas besoin d’identifier des coupables individuels. L’obtention d’une condamnation est donc souvent plus simple. Attention : il faut quand même que l’origine policière des faits soit prouvéeFiche 3. Réunir les preuvesComment prouver l'origine policière du décès ou des blessures ?book_2.
Quand le TA critique le procureur
Le tribunal administratif (TA) de Lyon a condamné l’État suite à la blessure infligée à M., victime d’un tir de LBD lors d’une manifestation le 9 février 2019. Le jugement retient en particulier que « deux tirs de lanceurs de balles de défense ont eu lieu à 16 h 40 rue de Marseille, dont l’un a atteint un manifestant à la jambe, ce qui concorde avec les circonstances décrites par la requérante ». Ce faisant, la justice administrative retient donc bien un lien de causalité entre le tir de LBD et la blessure, là où, sur la base du même dossier, l’enquête du procureur de la République concluait qu’« il est difficile d’affirmer que ces blessures soient le produit d’un impact de lanceur de balles de défense ». En outre, le jugement critique les lacunes de la justice pénale. Le TA considère que « l’enquête de police suite à la plainte de la requérante n’a permis de retrouver que l’un des deux policiers auteurs de tirs par lanceurs de balles de défense ».
Qu’est-ce qu’une « faute » de l’administration ?
En principe, vous devrez caractériser une « faute » pour engager la responsabilité de l’administration et obtenir sa condamnation. Il peut s’agir d’un usage de la force illégal, de la mauvaise formation des policiers ou gendarmes, d’un mauvais encadrement de l’usage des armes, etc., ou de l’ensemble de ces fautes. Il n’y a pas de loi en la matière. C’est la jurisprudence des tribunaux administratifs (l’ensemble des décisions rendues) qui fixe ce qu’est (ou pas) une faute. Traditionnellement, à cause de la « difficulté » des opérations de police, les tribunaux ne condamnent l’État que s’il y a eu une faute « lourde »SourceConseil D’État, 20 octobre 1972, n°80068note, c’est-à-dire particulièrement grave. Mais il s’agit d’une jurisprudence ancienne, susceptible d’évoluer peu à peu. Pour l’instant, les tribunaux administratifs évitent de définir ce qu’est une faute policière en cas de violences, en condamnant l’État sur la base d’un régime de « responsabilité du fait des attroupements »Dans cette ficheQu'est-ce que le régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements ?book_2. Mais ce régime juridique n’encadre en rien l’usage de la violence par la police et la gendarmerie. Aucune « faute » n’est jugée, donc les pratiques les plus illégales en théorie peuvent perdurer en pratique. En revanche, ce choix permet aux victimes d’obtenir une indemnisation plus facilement (en principe).
Qu’est-ce que le « régime de responsabilité du fait des armes dangereuses » ?
Les tribunaux administratifs admettent que certaines armes comportent « des risques exceptionnels pour les personnes ». Si elles ont été utilisées, une « faute simple » suffit à condamner l’État. Si la victime est étrangère à l’opération de police, il peut même y avoir condamnation « sans faute »SourceConseil d’État, 24 juin 1949, n°87335note(les modalités d’indemnisation sont allégées). Sont considérées comme armes « dangereuses » armes à feu dites « létales »SourceConseil d’État, 24 juin 1949, n°87335note (pistolet, fusil, etc.), un pistolet à impulsion électriqueSourceConseil d'État, 2 septembre 2009, n°318584note (« Taser »), mais pas des grenades lacrymogènesSourceConseil d’État, 16 mars 1956, Époux Domenech, n°25468 (non publié)note ou des crossesSourceConseil D’État, 12 février 1971, n°72495note. Les lanceurs de balles « de défense »SourceCour administrative d'appel de Nantes, 5 juillet 2018, n°17NT00411note (LBD) et les grenades à effet de souffleSourceTribunal administratif de Toulouse, 10 novembre 2021, n°1805497note (OFF1, GLI-F4, GM2L) ont également été considérés comme « dangereux » mais la jurisprudence n’est pas encore très claire. En effet, le Conseil d’État, qui est la juridiction suprême, affirme que les GLI-F4SourceConseil d'État, 17 mai 2019, n°429738note sont des armes « dangereuses » et que les LBDSourceConseil d'État, 01 février 2019, n°427386note ont « provoqué des blessures, parfois très graves ». Mais il ne précise pas quel régime de responsabilité doit s’appliquer. La discussion reste pour l’heure purement théorique : les tribunaux administratifs ne se prononcent que sur la base du régime de « responsabilité du fait des attroupements »Dans cette ficheQu'est-ce que le régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements ?book_2.
Qu’est-ce que le « régime de responsabilité sans faute du fait des attroupements » ?
La loi prévoitSourceArticle L211-10 du Code de la sécurité intérieurenote un régime spécial d’indemnisation sans faute en cas de dégâts (matériels) ou dommages (physiques) ayant eu lieu au cours d’« attroupements ou rassemblements armés ou non armés ». La notion d’attroupement reste très floue et fluctuante selon les tribunaux. Il faut en général qu’il y ait un groupe agissant de manière spontanée et non préméditéeSourceConseil d'État, 30 décembre 2016, n°389835note. Mais il peut s’agirSourceConseil d'État, 3 octobre 2018, n°416352note d’un petit groupe non organisé à l’intérieur d’une manifestation organisée. L’État doit réparer tous les torts commis soit par l’attroupement lui-même, soit par la policeSourceConseil d’État, 23 février 1968, n°72416, 72417, 72455note pour rétablir l’ordre. Peu importe que les dommages aient été subis par des tiersSourceConseil d’État, 30 juin 1999, n°190038note ou par des personnes participant à l’attroupementSourceConseil d’État, 23 février 1968, n°72416, 72417, 72455note. Dans ce dernier cas, le tribunal pourra en revanche estimer qu’il y a un « partage de responsabilité »Dans cette ficheQu'est-ce que le «partage de responsabilité » ?book_2. Quoi qu’il en soit, si le tribunal retient qu’un attroupement était en cours et que les blessures que vous avez subies résultent d’une action de police à ce moment-là, vous aurez automatiquement droit à indemnisation.
Qu’est-ce que le « partage de responsabilité » ?
Dans de nombreux cas, les tribunaux estiment que la victime a commis une « faute », qui nécessite de diminuer le montant de son indemnisation. Le cas est très fréquent. Il y a faute de la victime si elle se maintientSourceCour administrative d'appel de Nantes, 5 juillet 2018, n°17NT00411note sur les lieux de l’attroupement après des sommations (réduction de 10 % de l’indemnisation, ou plus, selon les tribunaux et les affaires). Les juges considèrent que la victime a pris un risque qu’elle n’aurait pas dû prendre. Mais ce ne sera pas le cas si elle n’a pas entendu les sommations, ou si un temps très faibleSourceTribunal administratif de Lyon, 12 novembre 2020, n°1908886note s’est écoulé entre sommations et blessure. L’indemnisation peut être totalement suppriméeSourceCour administrative d'appel de Bordeaux, 13 décembre 1999, n°96BX00562note si la victime se saisit d’une « grenade dégoupillée dont [elle] ne pouvait ignorer le danger qu’elle représentait ». Là encore, cela dépend des tribunaux et des faits établis dans chaque affaire. La précision des éléments factuelsFiche 3. Réunir les preuvesbook_2 apportés au tribunal sera cruciale. Le « partage de responsabilité » est possible quel que soit le régime d’indemnisation : avec faute lourde, simple, ou sans faute.
Grenades : les seules personnes jugées fautives sont les victimes
Étienne Noël, l’avocat qui a défendu les proches de Rémi Fraisse devant les juridictions administratives, explique : « Dans le cadre du régime de responsabilité sans faute, le débat porte surtout sur la responsabilité de la victime. Et souvent, les tribunaux disent aux victimes, en gros : “tu n’avais qu’à pas être là” ». L’argumentaire des juridictions relève d’un cynisme total. Pour Rémi Fraisse, la cour de Toulouse explique que « les forces de l’ordre présentes sur le terrain n’avaient pas forcément conscience de la dangerosité potentielle des grenades offensives ». C’est notamment ce qui justifie qu’aucune faute n’est retenue contre l’État. En revanche, Rémi Fraisse « a fait preuve d’imprudence, alors même qu’il ne pouvait ignorer la dangerosité de la situation pour en avoir été le témoin direct lors de son arrivée sur la zone d’affrontement ». En résumé, les juridictions françaises semblent penser que les victimes sont mieux formées et informées sur le maniement des grenades que les policiers et gendarmes [qui les] leur lancent dessus.
Dans quels cas saisir le tribunal judiciaire ?
Si la faute a été commise à l’occasion d’une mission de police « judiciaire », vous devez saisirSourceArticle L141-1 du Code de l'organisation judiciairenote non pas le TA, mais le tribunal judiciaire (le tribunal ordinaire, qui tranche les litiges entre les personnes). En effet les agents de police et de gendarmerie ont deux casquettes : administrative quand ils assurent « l’ordre public », judiciaire quand ils enquêtent sur une infraction. La distinction est parfois simple : si les faits ont été commis pendant une interpellation ou une garde-à-vue, il s’agit de police judiciaire. En revanche, un policier peut tirer au LBD sur la foule pour disperser un attroupement (police administrative) ou pour interpeller une personne (police judiciaire). La distinction devient carrément arbitraire. Prenez conseil avec un·e avocat·e spécialisé·eFiche 8. Bien choisir son avocat·eSur quels critères choisir son avocat·e ?book_2 (il y en a peu) pour éviter de saisir la mauvaise juridiction. Vous devez saisir le tribunal judiciaire par le biais d’une « assignation »Fiche 17. Faire condamner la justiceQu'est-ce que la « la faute lourde » ou le « déni de justice » ?book_2. Mais si un procès pénalFiche 14. Devant le tribunalbook_2 est déjà convoqué, il vous suffit de faire « citer » l’Agent judiciaire de l’EtatSourceArticle 38 de la loi du 3 avril 1955 relative au développement des crédits affectés aux dépenses du ministère des financesnote. Le tribunal devra suivre la jurisprudence administrative. Par exemple, en cas d’usage d’une arme dangereuse, une faute simple suffitSourceCour de Cassation, Chambre criminelle, 14 juin 2005, n°04-82.208note à faire condamner l’État.