Refus d’obtempérer : oui, la police est plus meurtrière depuis la loi de 2017

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Temps de lecture : 4 minutes Face au nombre de morts consécutifs à des refus d’obtempérer, l’Etat et l’institution policière font corps pour décliner toute responsabilité. Mais les faits sont têtus, et entêtants.

ILLUSTRATION DE LAFFRANCE

C’est un vieux classique de la rhétorique policière : ce n’est pas l’institution qui serait plus violente, mais les gens qui seraient plus méchants. Après la mort de Nahel Merzouk, le 27 juin 2023, et comme souvent, l’argumentaire policier s’est réfugié derrière le « bon sens » : la forte hausse du nombre de tirs observé depuis le vote de la loi du 28 février 2017 ne serait pas le fait ni des agents, ni de la loi, ni du fameux article L.435-1 du Code de sécurité intérieure qui cadre l’usage des armes. Non, elle décalquerait froidement la hausse du nombre de refus d’obtempérer réputés « dangereux ». Las. Les enquêtes de sciences sociales ont depuis longtemps démenti la croyance selon laquelle le comportement d’un agent de police « peut être expliqué de manière satisfaisante par les caractéristiques d’une confrontation », rapportent trois chercheurs dans une étude importante.

Cinq fois plus de morts après la loi de 2017

Lesquels ont proposé des statistiques plus robustes que le discours du directeur général de la police nationale – qui avait pu assumer, dans le plus grand des calmes, que « la police n’est jamais à l’origine de ce qu’il se passe ». Les sociologues ont comparé deux périodes, avant et après le vote de la loi. La première va de septembre 2011 à février 2017, la seconde coure de mars 2017 à août 2022 – de sorte que les deux intervalles comportent le même nombre de mois. Dans les deux cas, ils ont dénombré le nombre de morts suite à des tirs de police portant sur des véhicules en mouvement. Le résultat glace le sang : on compte près de cinq fois plus de décès annuels après le vote de ladite loi.

Lire notre interview de Paul Le Derff : « La légitimité policière tient surtout à la faible condamnation des policiers »

Mais alors, quid des fameux refus d’obtempérer qualifiés de « dangereux » ? Si on laisse de côté le fait qu’on ne sait rien des conditions dans lesquelles ces chiffres sont fabriqués (et qu’il devient donc difficile de les interpréter), leur augmentation paraît incontestable : elle est passée d’une moyenne annuelle de 2800 entre 2012 et 2016, à une moyenne de 3800 depuis 2017. De fait, cette augmentation est comparable à celle du nombre de tirs : dans les deux cas, elle tourne autour de 35%. Mais est-il seulement pertinent de s’arrêter au nombre de tirs ? Dans son dernier rapport, l’IGPN indique que, pour l’année 2022, ces tirs « atteignent leur niveau le plus faible depuis 2017 ». Mais elle ne précise pas que, avec 13 personnes tuées, cette année aura aussi été la plus meurtrière depuis que les chiffres sont connus… Si les tirs ont donc augmenté proportionnellement aux refus d’obtempérer dits « dangereux », les tirs entrainant la mort ont, quant à eux, explosés.

Hausse de 70% de la dangerosité policière

Car rien n’y fait : aussi sensible soit-elle, l’augmentation du nombre de refus réputés « dangereux » reste sans commune mesure avec celle du nombre de décès (+35% vs. +500%). Les chercheurs relèvent d’ailleurs que « ces refus [« dangereux »] avaient commencé à augmenter avant la loi, tandis que les tirs mortels n’ont augmenté qu’après ». Autrement dit, tout laisse à penser que, plus que le comportement des automobilistes, c’est la dangerosité des tirs de la police qui semble avoir dramatiquement évolué.

Une hypothèse que corrobore la comparaison avec le nombre de tirs mortels imputables à la gendarmerie et ceux réalisés par les policiers. En juin 2022, le journal Basta calculait que sur les 17 personnes tuées par balles à l’intérieur d’un véhicule entre 2002 et 2017, « la moitié l’était par un policier, l’autre moitié par un gendarme ». Sur les 33 morts recensés depuis le vote de la loi par le journaliste Ludovic Simbille (qui collabore à Flagrant déni), 28 l’ont été par des policiers. La part des morts attribuable à la police a ainsi bondi de 70 % après 2017 (voir graphique).

Du répit, mais à quel prix ?

L’argument selon lequel la hausse du nombre de morts ne peut, au fond, qu’être de la faute des victimes elles-mêmes n’est pas simplement indigne : il ne permet pas non plus d’interpréter la période la plus récente, après la mort de Nahel Merzouk. Dans l’attente des chiffres publiés par l’IGPN pour 2023, une analyse de la presse locale et nationale suggère le constat suivant : avant la mort de Nahel le 27 juin, deux autres personnes sont mortes des suites d’un tir associé à un refus d’obtempérer. Entre la période qui sépare la mort de Nahel et la fin de l’année 2023 en revanche, aucun autre homicide policier ne peut être directement imputé à la loi de 2017. Trois décès en 2023, dont aucun après celui de Nahel – contre treize en 2022, comme le rappelle un récent rapport parlementaire.

Tout semble donc indiquer que la pratique policière est loin de n’obéir qu’à la pure nécessité, ou à ce qu’imposerait l’augmentation de circonstances dangereuses. Non seulement elle paraît beaucoup dépendre du cadre juridique, lorsqu’un texte (en l’occurrence, une circulaire, que Flagrant déni a déjà analysée ici et ) est conçu et perçu par les fonctionnaires comme autorisant une pratique plus lâche ; mais tout laisse à penser qu’elle est aussi très sensible au contexte politique et social. En l’espèce, lorsque des émeutes d’une ampleur inédite viennent rappeler, en lieu et place de l’Etat, que l’impunité de ses agents n’est pas sans limite. Et que derrière les chiffres, les morts nous regardent.

Rafaël Snoriguzzi & Thomas Martin

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