Le « permis de tuer » de la police nationale enfin publié !

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Temps de lecture : 3 minutes Après un bras de fer avec le ministère de l’Intérieur, Flagrant déni a obtenu communication de l’instruction qui fixe les règles d’usage des armes applicables aux policiers. Tenue secrète depuis sa rédaction en 2021, elle présente de grosses lacunes juridiques.

ILLUSTRATION DE LAFFRANCE

C’est un document essentiel, au cœur de toutes les batailles judiciaires et politiques sur les tirs policiers mortels. Il existe depuis 2021, il n’avait jamais été publié – et il nous aura fallu plus de trois mois de bras de fer juridique avec le ministère de l’Intérieur pour l’obtenir. L’instruction du 26 mai 2021 de la police nationale « relative à l’arme individuelle ou de service » est enfin un document public (du moins en partie, puisque le texte est partiellement censuré).

C’est ce texte, une simple directive adressée à tous les chefs de service de police et répercutée à l’ensemble des policiers du territoire, qui fait office de manuel interne sur les conditions d’usage de l’arme. Depuis 2017, la loi en la matière a changé. Son interprétation fait depuis l’objet d’une grande confusion aux effets dramatiques, puisqu’elle a conduit à une forte hausse du nombre de tués par la police.

Le ministère de l’Intérieur en retard sur le droit

Comme nous avions déjà pu l’écrire, Darmanin refuse de tenir compte des évolutions du droit. C’est ce que montre la lecture de l’instruction de 2021. Depuis 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) impose qu’un tir par arme à feu ait lieu seulement en riposte à un danger « immédiat » – et précise la manière dont ce danger « immédiat » doit s’interpréter. Par exemple, pour la CEDH, si une voiture est en train de prendre la fuite à l’opposé des policiers, sans les mettre en danger, le tir du policier est illégal. Ce principe a d’ailleurs été repris par la Cour de cassation en 2021.

Lire notre analyse : « “Permis de tuer”: Darmanin refuse d’obtemptérer »

Or l’instruction de la police se borne à rappeler les principes « d’absolue nécessité et de proportionnalité » en une phrase, sans aucune précision complémentaire. Elle ne dit strictement rien sur le danger « immédiat » ou sur l’interdiction de tirer sur une voiture en fuite en l’absence de danger. Elle recopie ensuite les différents textes de loi qui encadrent (de façon floue, les juristes s’accordent à le dire) l’usage des armes. En comparaison, l’instruction de la gendarmerie est pour sa part beaucoup plus précise et contraignante, imposant un vrai cadre opérationnel et pratique.

Schéma pédagogique de la gendarmerie nationale – source DGGN / MC Gillot

Bref, les imprécisions de cette instruction interne de la police la rendent dangereuse. En octobre 2021, la Cour de cassation (la plus haute juridiction française en matière pénale) avait ainsi précisé on ne peut plus clairement que « l’usage de l’arme » d’un policier ou gendarme devait « être réalisé dans le même temps que sont portées des atteintes ou proférées des menaces à la vie ou à l’intégrité physique des agents ou d’autrui ». Las – la direction de la police nationale nous a confirmé que la note de mai 2021, que nous publions aujourd’hui, est toujours celle en vigueur.

Rétentions

Apprenant son existence en octobre 2023, nous avions immédiatement demandé communication de cette instruction. La police avait refusé le jour-même. Nous avions donc saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Cette dernière avait à son tour sollicité le ministère de l’Intérieur. Sans réponse. La CADA avait par la suite rendu un avis favorable à la communication de cette instruction en décembre 2023. Malgré deux relances en janvier 2024, la police continuait de ne pas répondre. Puis, alors que nous nous apprêtions à saisir le tribunal administratif, l’instruction est enfin arrivée en février, dans une version largement censurée.

Télécharger la circulaire

Ce n’est pas la première fois que nous devons saisir la CADA, voire le tribunal, pour obtenir communication de documents du ministère de l’Intérieur qui devraient de toute évidence être rendus publics. Nous ne sommes pas les seuls.

LIONEL PERRIN

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