« Dites-le avant de charger, quoi ! »
Temps de lecture : 5 minutesManif du 1er mai 2021 à Lyon. Témoignage de Camille, 27 ans, comédienne.

ILLUSTRATION PAR FLAGRANT DENI
Manif du 1er mai 2021 à Lyon. Témoignage de Camille, 27 ans, comédienne.
J’étais venue habillée en rose, pour faire partie du Pink bloc. Il y a quelqu’un du Pink bloc qui m’a repérée, on s’est assemblé.es petit à petit. On était relativement à l’avant du cortège. Donc voilà je me suis retrouvée avec ces gens, c’était bonne ambiance. Il y avait deux banderoles à l’avant et j’étais juste à côté. Il y avait quelqu’un qui tenait les deux banderoles ensembles au milieu, et donc il m’a demandé si je pouvais tenir la banderole de gauche. Je l’ai prise et on a dû avancer 5 minutes de plus, quelque chose comme ça, j’ai du mal à me rendre compte de la temporalité de la chose. Je me souviens juste que la personne à côté de moi faisait attention à là où étaient les flics.
« une ligne de CRS entre nous et le reste du cortège »
A un moment j’ai juste entendu quelqu’un dire : « retournez la bannière », « retournez la banderoles » – parce qu’on était nassé.es. J’ai pas tout de suite compris, et puis pour moi c’était pas … j’avais l’impression d’être dans un truc tout mignon, j’étais de très bonne humeur. Donc « ok oui, on retourne la banderole, il y a pas de soucis ». On a fait demi-tour. Et tout d’un coup effectivement, il y a eu une ligne de CRS qui est arrivée entre nous et le reste du cortège. Par derrière. Je sais pas d’où ils venaient. Il y a dû y avoir un espèce de contingent qui s’est infiltré sur les côtés ou alors dans une rue latérale, je ne sais pas trop. Mais tout d’un coup, il y a eu une ligne. Ils ont formé une ligne, ils nous ont séparé du reste du cortège. Ils ont couru. Et c’est pour ça qu’on nous a demandé de retourner la banderole, pour pouvoir faire front sur les deux fronts. Parce que du coup on avait des CRS des deux côtés, à ce moment-là.
Jusque-ici pour moi, j’étais dans une manif vraiment tranquille. Dans le sens où on était arrivés, il n’y avait pas grand monde, le Pink Bloc s’était formé un peu tard, il y avait un côté un peu à l’arrache. Moi j’étais vraiment pas dans une ambiance « il faut faire gaffe ». Je me disais que ça allait être tranquille. Mais la tension est montée très vite. Tu regardais des deux côtés t’avais des CRS, c’était un peu flippant. Et en fait ils nous ont chargé. Tout de suite. 10 secondes après. Et c’est très bizarre, ça ne m’était jamais arrivé en fait. De me faire charger des deux côtés. D’habitude tu te fais charger, bon bah t’as un endroit où courir. Tu vas dans l’autre sens, quoi. Et là je me disais « reste calme », mais en même temps je me disais… « je vais où ?! ». « Reste calme »… mais en même temps tu tournes la tête des deux côtés et il y a des CRS qui courent à toute vitesse dans ta direction.
Et donc on avait la banderole et j’ai dit bah, là, on lâche. Ça vaut plus le coup. Je ne comprenais pas du tout ce qu’il se passait en fait. Instinctivement j’ai lâché la banderole. J’ai eu un pic d’adrénaline, j’ai lâché. J’ai couru quoi. Parce qu’il fallait aller quelque part. On ne pouvait pas tenir en groupe, je savais pas. Pour moi il y avait 10 mètres maximum entre les deux banderoles. Il y avait un peu d’épaisseur mais… mais voilà, des CRS qui courent à toute vitesse vers nous. Ils avaient leurs matraques, et tu te disais « je vais m’en prendre une là ». En plus j’ai pas trop l’habitude, il n’y avait pas de mot d’ordre … Tout le monde est parti en fait.
« pourquoi vous nous avez chargés ? »
Le seul endroit où tu pouvais aller c’était une rue qui partait sur le côté. Dans le sens de la marche, vers la droite. C’était nassé mais il y avait un peu d’espace pour… pour espérer. C’est un endroit où il y avait une espèce de grille. Il y avait les CRS qui nassaient, et il y avait des manifestants du Pink bloc qui étaient très très énervés contre eux. Ils disaient : « mais pourquoi vous nous avez chargés là, il s’est passé quoi ? ». Il y avait une incompréhension en fait, par rapport à ce niveau de violence. Contre rien. On n’était pas… Enfin on n’était clairement pas des casseurs. C’est pas pour dire que… mais c’était très difficile de comprendre la démarche.
Surtout que moi j’avais pas compris cette histoire de banderole. Je me disais : « mais pourquoi prendre une banderole, ça va quoi ?! ». Et même maintenant qu’on me l’a expliqué, je trouve ça toujours absurde. En fait, je trouve que c’est un niveau de danger, d’exposition au risque, beaucoup trop élevé par rapport à ce que ça peut prévenir. De courir dans un groupe de gens, armé, avec tout l’exosquelette de CRS, créer cette peur là, ce mouvement de foule, pour enlever une bannière à un groupe qui est relativement tranquille… je trouve que c’est démesuré. Enfin je n’arrive pas à comprendre le sens de ça. Donc voilà c’était un peu le réality tcheck.
« Dites-le avant de charger, quoi ! »
Il y avait des gens très jeunes dans le Pink bloc, de ce que j’ai remarqué. Et je pense que personne ne s’attendait à ça. Il y avait un truc de… on est venus pour se retrouver ensemble. Il y a une personne qui avait perdu son téléphone, ça avait été un peu la panique, j’ai essayé d’aider, de refaire groupe mais ensuite ça s’est éparpillé, il n’y avait plus les banderoles, il n’y avait plus le caddie [avec une sono]. Tout ça, ça avait disparu. C’était triste aussi.
Le Pink bloc, c’est radical disons politiquement parce que ça va être visible, mais j’ai jamais vu faire de la casse. Un ami qui était à Paris, m’a dit « on était dans le Pink bloc, on l’a fait du début à la fin, il s’est rien passé. » Peut être que c’était parce qu’on était à cet endroit-là, peut être que c’était à cause de la banderole, j’en sais rien. On est restées dans cette petite rue jusqu’à ce que la marche continue d’avancer.
Je pense que c’est des trucs qui te ramènent à la réalité aussi, de ce que c’est que la manif. Et du comportement des forces de l’ordre. En fait ce qui m’a marqué c’est qu’il n’y avait aucune communication. Je sais pas si notre comportement aurait été fondamentalement différent mais si la question c’est la banderole, dites le avant de charger quoi ! Tu vois, ça serait facile d’avoir un mégaphone et de dire … juste imaginons que quelqu’un ait la santé fragile – ce qui aurait évidemment pu être le cas – qui soit là, et qui ne connaisse pas l’enjeu de la banderole. Encore une fois je trouve ça absurde, mais imaginons que la question de la banderole c’est un problème de sécurité publique, j’en sais rien… dites-le au mégaphone. Il y a aucune communication, et du coup pour moi ça rend le truc très très suspect – rapport à la justification théorique de la banderole. Pour moi ça paressait vraiment absurde comme moment, en termes de rapport de force. Vraiment il y avait des gens très jeunes dans ce groupe. Et d’un côté je me dis, « bon bah voilà, ils savent au moins maintenant ». Mais c’est triste, quoi. C’est triste.
Témoignez !
En cas de confrontation avec la police, Flagrant Déni recueille les récits des victimes et des témoins. Il s’agit d’abord de faire entendre cette parole : à l’heure où l’immense majorité des médias (la « presse paresseuse ») se contente de relayer les discours préfectoraux, il est très important de pouvoir rendre public le vécu de celles et ceux qui se retrouvent sous les matraques, les nuages de lacrymos ou face aux armes à feu. Il s’agit aussi de pouvoir contre-enquêter : face à une justice qui s’obstine à croire sur parole des policiers dont les mensonges sont pourtant fréquents, il est nécessaire de recueillir des preuves, et de les multiplier autant que possible.
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