Université Lyon 2 : la pédagogie par la matraque

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Temps de lecture : 3 minutes Depuis mi-novembre, les interventions violentes se sont multipliées à la fac. La chronologie révèle une nette escalade de la répression. En laissant intervenir la police, la présidence revient sur des acquis sociaux… du Moyen-âge.

ILLUSTRATION DE LEFRED THOURON

Le cadre légal : les président-es d’université peuvent refuser de faire appel à la force publique

En 1229, des étudiants de l’université de Paris sont tués par les gardes de la ville. L’université se met alors en grève. Les cours ne reprennent que deux ans plus tard, lorsque le pape Grégoire IX publie une bulle, Parens scientarum, garantissant l’autonomie de l’université. C’est ainsi que nait la « franchise universitaire », statut qui protège la liberté universitaire en encadrant strictement la possibilité d’interventions policières. Ainsi, aujourd’hui, l’article R. 712-6 du Code de l’éducation prévoit que les président-es d’universités sont l’autorité compétente à « prendre toute mesure utile pour assurer le maintien de l’ordre » et, seulement « en cas de nécessité », faire « appel à la force publique ». Un guide juridique de la Conférence des présidents d’université (CPU) précise que « le président, ayant tenu informé le recteur (…) et pris les mesures adéquates contre les troubles [comme la suspension des cours], ne serait pas inquiété devant les tribunaux en cas de refus de faire appel à la force publique », et rappelle que le tribunal administratif juge généralement qu’une intervention policière est« disproportionnée »(p.40).

La présidence de l’université Lyon 2 ne semble pas partager cet avis du juge administratif ou celui de la CPU puisqu’elle choisit, au contraire, de faire largement appel aux forces « de l’ordre ».

Des tags, la BAC

Mercredi 13 novembre, quelques jours après l’immolation d’un étudiant devant le CROUS de Lyon, les étudiant-es décident d’occuper le campus de Bron. La présidence considère le campus fermé pour la journée. Trois policiers sont autorisés par l’université à y entrer et photographient les étudiant-es mobilisé-es. Le soir même, des CRS et la BAC expulsent les étudiant-es. Ielles ont commis des tags politiques sur les murs de leur université. Le tag serait-il désormais considéré comme une forme de criminalité si grave qu’elle nécessite l’intervention de la police dans un lieu consacré à l’enseignement et la recherche ?

Une plainte au motif obscur

Le vendredi 22 novembre, un groupe d’étudiant-es décident d’imposer leur présence et leurs revendications au sein du conseil académique, vers 10h, sur le campus des berges du Rhône. À l’appel de la présidence, une quarantaine de CRS interviennent dans la réunion pour embarquer 19 étudiant-es. L’un sera relâché rapidement : présent depuis le début du conseil, il y assistait dans le cadre d’un exercice d’observation. Les autres sont placé-es en garde à vue, 15 écopent d’un rappel à la loi, les 3 autres sont poursuivi-es pour « violences aggravées en réunion ». Or les faits sont flous. La présidence n’a pas jugé bon de fournir des informations sur les motifs de sa plainte. Dans un mail adressé à l’ensemble de l’université, elle se contente d’expliquer que « face à une nouvelle intrusion dans l’un des bâtiments des quais, nous avons été amenés à nouveau à faire appel aux forces de l’ordre », sans préciser en quoi cette seule intrusion menaçait la sécurité de l’établissement. En dépit du motif de poursuite, la présidence n’a jamais allégué publiquement que des violences auraient été commises ce jour-là. Les rumeurs qui nous été rapportées font état d’une seule claque, contestée… Or ce sont trois personnes qui sont poursuivies pour violences en réunion. Ces personnes risquant des années de prison et des milliers d’euros d’amendes, on a le sentiment que c’est surtout la répression judiciaire qui frappe.

Garantir la sécurité des personnes avec la BAC : des doigts cassés pour mieux étudier ?

Enfin, lundi 9 décembre, trois jours après l’attaque menée par la police contre des lycéen-nes bloquant leur établissement (voir notre communiqué), la présidence demande une intervention policière contre le blocage mis en œuvre par les étudiant-es mobilisé-es tôt le matin à Bron. Les étudiant-es placent des poubelles devant les portes du campus pour les bloquer, la BAC les matraque. Les personnes frappées racontent : « la bac a commencé à intervenir violemment en dégageant les poubelles, je me suis pris un premier coup de matraque au bras car je tenais une poubelle » ; « un mec de la bac m’a forcé à me lever en me tirant par le bras tout en me donnant des coups de matraque ». Coups à la tête, sur les bras, les doigts… avec pour résultats de nombreux hématomes, des céphalées et douleur rétro-orbitaire de l’œil, deux phalanges cassées… Bilan tel que présenté par la présidence : « en dépit de tentatives de blocages par une quarantaine d’étudiant.es ce matin, nous avons pu ouvrir l’ensemble de nos campus ».

Dans un courriel du 22 novembre adressé à l’ensemble de l’université, la présidence assure faire appel à la police « pour garantir l’intégrité [des] locaux et la sécurité des personnes ». Après ces doigts cassés, à qui va-t-elle faire appel pour protéger les personnes de la police ? / Protéger la sécurité des personnes en leur cassant les doigts ?

En ce début d’année 2020, le comité contre les violences policières se prononce pour la fin des châtiments corporels dans l’enseignement supérieur et souhaite à l’université Lyon 2 une rentrée pédagogique sans matraque ni procès.

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