Affaire Nahel aux assises : le syndicat Alliance se trompe de cible
Temps de lecture : 3 minutesLe mardi 3 juin 2025, le renvoi aux assises pour meurtre du policier responsable de la mort de Nahel Merzouk en juin 2023, a été annoncé par le tribunal de Nanterre.
En mars dernier, cette qualification juridique de meurtre (c’est à dire d’homicide volontaire) avait fait bondir le syndicat Alliance. « C’est une première » avait dénoncé le secrétaire général du syndicat, qui critiquait « une réquisition inacceptable, un signal désastreux pour le monde policier ».
Une « première » ? Vraiment pas.

ILLUSTRATION DE LAFFRANCE
En réalité, il faut remonter à… moins d’un an pour trouver une qualification similaire. Le 9 juin 2024, une policière abat Sullivan Chauvey, 19 ans, qui tentait de prendre la fuite à pied. A l’issue de sa garde à vue, la policière est mise en examen pour homicide volontaire. Mêmes qualifications pour les homicides policiers d’Alhoussein Camara en 2023, de Boubacar et Fadjigui tués sur le Pont-neuf à Paris en 2022, ou Olivio Gomes en 2020. Dans cette dernière affaire, c’est une cour d’appel qui a validé la qualification juridique de meurtre, qui justifie le renvoi du policier devant un jury populaire. Idem pour le gendarme qui avait tué Yannick Locatelli en Guadeloupe, en 2018 : il a quant à lui été condamné en appel à sept ans d’emprisonnement, pour meurtre, et a été écroué (une décision rarissime).
Deux fois plus de mises en cause de policiers pour meurtre après 2017
En réalité, en critiquant le travail de la justice sur des bases factuelles erronées, Alliance se trompe de cible. Car, d’après un recensement effectué par Flagrant déni (voir méthodo), c’est bien plutôt la loi « Cazeneuve » de février 2017 qui semble être en cause. Cette loi a entraîné une explosion par 5 du nombre d’homicides policiers par balle, comme l’a encore dénoncé un Comité d’experts des Nations unies, en avril dernier. 2024 constitue un nouveau record de personnes tuées par les balles des forces de sécurité, avec au moins 29 décès. Mais cette loi semble aussi avoir multiplié le risque pour les policiers d’être poursuivis pour meurtre. Après la loi, en huit ans, Flagrant déni compte dix affaires avec des poursuites pour meurtre (dont, on l’a vu, des mises en examen voire des renvoi vers des tribunaux ou des condamnations). Sur la période de huit ans précédent la loi (2008 – 2016), on ne compte que quatre affaires avec des poursuites sur cette qualification. Ce sont en outre quatre affaires dans lesquelles la justice a rapidement décidé de ne pas poursuivre les policiers, ou de les poursuivre pour d’autres qualifications.
D’autres syndicats critiquent la loi « Cazeneuve »
D’ailleurs, l’avocat de Florian M, le policier responsable de la mort de Nahel, a depuis longtemps des mots très durs sur la loi de 2017. Au moment de l’adoption du texte, Laurent-Franck Liénard avait dénoncé « une bombe à retardement » car « des citoyens [allaient, si elles étaient adoptées,] mourir pour un défaut de permis, et des policiers [iraient] en prison ». Une sinistre prédiction qui s’avère bien réelle. En mars dernier, d’autres syndicats policiers se sont à leur tour élevés contre l’imprécision et la dangerosité de la loi : « On ne peut pas travailler comme cela, on a besoin d’un cadre légal clair, net et précis. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas », affirmait le représentant de la CFTC. Si « la loi n’est pas adaptée » se questionnait Un1té, c’est « le vrai fond du sujet […], et dans ces cas-là […] nous aussi on attend de notre administration et du législateur de prévoir, de nous dire comment on doit travailler ». On aimerait entendre l’avis d’Alliance sur cette (bien réelle) problématique.
Méthodo
Les données citées sont issues du comptage du journaliste Ludovic Simbille pour Basta.media, complété par une revue de presse et de jurisprudences effectuée par Flagrant déni. Les suites judiciaires des affaires n’étant pas toujours connues, ces chiffres peuvent être incomplets. Ont été prises en compte les affaires dans lesquelles à tout stade de procédure, une autorité judiciaire a décidé de poursuites et a qualifié les faits d’homicide volontaire (ouverture d’enquête par le parquet, mise en examen par un juge d’instruction, etc.). Les affaires dans lesquelles ce sont les victimes qui poursuivent les policiers et qualifient les faits (plaintes avec constitution de partie civile) ne sont pas décomptées.
Dossier / L435-1 : permis de tuer ?
LA REDACTION DE FLAGRANT DENI