Selon que vous serez policier ou misérable…*

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Temps de lecture : 5 minutes Naïm face à la police, volet 2. Il a été agressé par la police en janvier 2020 à Vaulx-en-Velin. Mais c’est lui qui comparaît devant la justice. Sa plainte a été enterrée par le parquet. Flagrant déni décortique le fonctionnement d’une banale justice à deux vitesses.

Illustration de FLAGRANT DENI

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Naïm face à la police : main tendue, patates dans la tête

Ce vendredi 14 octobre, Naïm doit comparaître au tribunal correctionnel de Lyon pour « outrage, rébellion et menaces de mort sur personnes dépositaires de l’autorité publique ». Nous avons publié hier son récit des violences qu’il a subies le 6 janvier 2020 à Vaulx-en-Velin. Il n’a commis aucune violence mais se retrouve poursuivi sur la base de la seule parole des policiers, à défaut de tout autre élément de preuve. 5 policiers ont déposé plainte, cela suffit au parquet de Lyon pour le faire comparaître. En revanche, lui qui a subi des blessures se voit pour l’instant barrer tout accès à un procès. Le 22 septembre dernier, le parquet général de la cour d’appel de Lyon a confirmé le classement sans suite prononcé par la justice suite à la plainte de Naïm. Son avocat avait formé un recours il y a un an. Le parquet général prend soin de détailler sa réponse point par point. Mais cette décision paraît bien faible sur le plan juridique.

Contusions sur la totalité du corps

Le magistrat du parquet résume d’abord le débat : « Il n’est pas contesté que des actes de contention physique ont bien été réalisés par les forces de l’ordre ce soir-là ». En effet, deux certificats médicaux établis le jour et le lendemain des faits mentionnent pour l’un des « plaies superficielles (lèvre supérieure) », des « ecchymoses au niveau du cou et des poignets » de Naïm, l’autre des « des contusions sur la totalité de son corps avec hématomes au niveau cou, tête ». Le parquet général poursuit : « Ce n’est donc pas tant, les actes en eux-mêmes de contention qui prêtent à discussion, que le contexte ou l’origine du recours à ceux-ci ». Effectivement, en cas de plainte, la justice doit en principe chercher à savoir quels gestes des policiers ont abouti à ces blessures, et si cet usage de la force était légal, c’est à dire « nécessaire » et « proportionné ».

La réponse du parquet général est décevante, pour ne pas dire légère : « L’examen des 5 photographies des blessures de votre client m’apparaît conforter cette lecture (prise dite du sommeil / étranglement d’où les marques au visage et aux lèvres, chute au sol d’où les écorchures à un des genoux) ». Or « cette lecture » ne repose que sur l’avis du parquet général, qui ne la détaille pas plus. D’abord, le magistrat n’explique pas en quoi une clef d’étranglement peut provoquer des plaies aux lèvres et des marques au visage. Ensuite, il semble valider une technique qui est pourtant proscrite depuis 2021, et qui a valu tout récemment la condamnation de trois policiers, jugés coupables d’avoir entraîné la mort d’Amadou Koumé.

Une enquête ineffective…

Enfin, le parquet général invente littéralement la cause des blessures, puisque celle-ci n’est décrite nulle part dans la procédure. En effet, l’enquête diligentée suite à la plainte s’avère nulle, au sens strict du terme : à aucun moment, elle ne cherche à établir les causes des blessures subies par Naïm, ni si elles étaient légitimes, ou pas. Le « PV de synthèse » censé donner les conclusion de l’enquête ne conclut strictement rien. Dans son recours, l’avocat de Naïm avait pris le soin d’alerter le parquet général : « A aucun moment l’enquête ne cherche à se prononcer sur les faits de violence par personne dépositaire de l’autorité publique ». En vain.

Au cours de cette procédure, les policiers qui ont interpellé Naïm ne sont jamais questionnés sur les causes des blessures constatées sur la tête et le corps de Naïm. Ils se contentent de raconter, de façon plus ou moins concordante, les gestes qu’ils ont effectués : « mener l’individu au sol », « lui placer un léger étranglement », puis un nouvel étranglement, nouvelle chute au sol, etc. Au cours d’une confrontation avec quatre policiers, Naïm les questionne lui-même : « pourquoi j’ai encore des marques ici et des douleurs au cou ?  ». Aucun des policiers ne répond, et l’OPJ qui mène les débats ne repose pas la question. En 175 pages de procédure, elle ne sera jamais abordée.

Sous-traitée aux collègues des mis en cause…

Comment une procédure menée sur des violences peut-elle les passer sous silence ? L’explication tient dans la méthode du service d’enquête. Naïm a déposé plainte en mai 2020 auprès du procureur de la République. Quelques semaines plus tard, le « service déontologie » de la police du Rhône est saisi par le magistrat (voir schéma). Le premier acte d’enquête réalisé, le 2 juin 2020, plonge d’emblée la plainte dans une impasse : l’enquêteur joint une copie de la procédure intentée contre Naïm. Dans le cadre de cette première procédure, Naïm a été entendu, ainsi que la plupart des policiers qui ont participé à l’interpellation. Le « service déontologie » semble juger que ces auditions suffisent : il ne réentend ni la victime, ni la plupart des policiers. Seul l’un d’entre eux, désigné par Naïm comme son principal agresseur, sera auditionné. Mais l’enquêteur ne le questionne pas sur l’origine des blessures de Naïm, se contentant de demander au policier s’il lui a « porté des coups ».

Le cœur de l’enquête est donc complètement sous-traité par le service « déontologie » à un autre service, qui avait enquêté à charge contre Naïm. Pire : l’enquête contre Naïm a été menée principalement… par des collègues directs des policiers dont il se plaint. Les faits ayant eu lieu à minuit, l’enquête est d’abord ouverte par le service de nuit de la police du Rhône, au commissariat central. 5 policiers sont auditionnés à ce moment-là. Mais bien vite, au petit matin, Naïm est transporté au commissariat de Vaulx-en-Velin. A 8h, c’est des policiers de Vaulx-en-Velin, donc des voisins de bureaux des policiers impliqués, qui prennent la suite : audition de Naïm, d’autres policiers, exploitation de la vidéosurveillance et confrontation finale. En fait, cette pratique de sous-traitance semble fréquente, comme en témoignent d’autres procédures analysées par Flagrant déni.

Et à charge contre la victime

Quand le service déontologie reprend lui-même l’enquête, c’est en grande partie pour tenter de décrédibiliser deux des témoins cités par Naïm. Un tiers de ses investigations visent à rechercher des « main-courantes » les concernant, ou à « borner » leurs téléphones pour confirmer qu’ils étaient bien présents au moment des faits. Un ami de Naïm, seul témoin direct de la scène, n’a pas été entendu. Son témoignage, adressé au parquet par courrier en septembre 2020, n’a même pas été joint à la procédure. Le service « déontologie » s’est concentré sur la parole des policiers dénoncés par Naïm. Sa parole à lui est jugée « différente » de celle des policiers (sous-entendu : fausse), sans autre forme de procès.

Pourtant, les violences commises sur Naïm ont toutes les apparences de l’illégitimité. Naïm et les policiers s’accordent sur un point crucial : dans un premier temps, les policiers ont étranglé Naïm pour l’amener au sol, puis sont repartis sans chercher à l’interpeller. Or, au procès des policiers tabasseurs d’Arthur, le procureur a rappelé que la « nécessité » de l’emploi de la force à l’encontre de la victime « n’existait pas » parce que les policiers n’avaient pas cherché à l’interpeller. La situation est similaire. Ce n’est que dans un second temps, après de nouveaux échanges verbaux, que les policiers ont finalement décidé d’interpeller Naïm. S’agissant de faits commis à l’ombre des médias, à Vaulx-en-Velin, le parquet semble moins exigeant…

* D’après la Fontaine : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront noir ou blanc »

Méthodo :

Lundi 3 octobre, nous avons questionné par courriel le parquet général de la cour d’appel de Lyon, qui a confirmé le classement sans suite de la plainte de Naïm. Il ne nous a pas répondu.

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