Procès du policier B. : coup de gazeuse sur un mineur et des dents cassées 1/2

|

Temps de lecture : 6 minutesViolemment frappé au visage par un policier en 2020, Abdelkader, 14 ans, s’était retrouvé (comme souvent dans ces affaires) poursuivi pour diverses infractions. Relaxé par le juge pour enfants en 2021, il poursuit sa quête de justice. Le procès aura lieu ce mardi 9 septembre.

ILLUSTRATION DE LAFFRANCE

Ce mardi 9 septembre, le tribunal correctionnel de Lyon va juger le policier B. prévenu d’avoir frappé Abdelkader alors qu’il avait 14 ans. Tout commence, il y a presque 5 ans, un samedi soir vers 21h, le 19 septembre 2020 à Villeurbanne (Rhône). Un scooter suivi par une voiture de police percute un mur vers la gare routière « Laurent Bonnevay ». Une foule se forme, certains accusant les policiers d’être responsables.

En parallèle, Abdelkader, collégien de 14 ans, prend le bus avec deux amis pour aller manger dans un fast-food, après avoir prévenu sa mère. Au terminus « Laurent Bonnevay », c’est l’effervescence : « La chauffeuse nous a dit de descendre (…) le bus nous pose en plein milieu d’un nuage de lacrymo », se souvient Abdelkader, cinq ans après les faits. Il s’écarte un peu de la foule pour reprendre son souffle. Ses deux amis le cherchent, crient son nom. Quand ils le rejoignent, « on n’a pas le temps de discuter 2 secondes qu’il y a encore des jets de lacrymo qui arrivent. C’est à ce moment-là qu’on a compris qu’on pouvait être potentiellement visés aussi et mêlés à cette histoire ». Les trois adolescents décident donc de s’écarter et se réfugient dans un parc « en pensant qu’on était à l’abri ». Mais la réalité est tout autre car des policiers arrivent vers eux.

Extrait de l’audition d’Abdelkader dans le cadre de sa plainte pour violences policières,
le 21 septembre 2020 au matin

Rappel des faits par Abdelkader, 5 ans plus tardTranscription

« La première chose que je dis en me réveillant c’est ‘‘pourquoi j’ai les dents cassées, pourquoi j’ai la bouche gonflée et qu’est-ce que je fais là ? ’’ ».

« La première chose que je dis en me réveillant c’est ‘‘pourquoi j’ai les dents cassées, pourquoi j’ai la bouche gonflée et qu’est-ce que je fais là ? ’’ ».

Abdelkader est abasourdi en arrivant au commissariat. Il ne comprend pas pourquoi il a été emmené. Il est placé en garde-à-vue (GAV) à 22h30 pour « violences avec armes par destination sur personne dépositaire de l’autorité publique ». La GAV prendra fin le lendemain à 14h25, soit près de 16h après.

 « Pourquoi inventer de tels mensonges ? »

Les policiers auditionnés dans le cadre des violences reprochées à Abdelkader disent tous avoir été victimes de jets de projectiles. Pourtant, sur ces cinq policiers auditionnés, un seul, le policier B., dira avoir vu l’enfant « jeter des projectiles à une reprise vers les policiers alors qu’il était dans le parc ». Et c’est ce même policier qu’Abdelkader accuse de l’avoir frappé avec sa bonbonne de gaz lacrymogène.

Dans son procès-verbal (PV), ce policier B. raconte son interpellation d’Abdelkader et justifie agir « en flagrant délit » puisqu’il dit l’avoir vu « jet(er) un projectile non identifié en direction des fonctionnaires » : « rattrap(ons) les auteurs au niveau de la grille que les jeunes escaladent. (…) Parvenons à le faire descendre du grillage. Au moment de saisir de nouveau l’individu un choc se produit entre le dos de l’auteur et notre main droite faisant casser la poignée de la bombe lacrymogène. »

Suite à ce « choc » de la bonbonne de gaz lacrymogène, le gaz aveugle tout le monde sur place ; c’est-à-dire Abdelkader, le policier B. et son collègue qui vient d’arriver. À ce moment, le policier B. mentionne une tentative de fuite d’Abdelkader : « au bout de trente mètres environ, l’interpellé tente de fuir, profitant de notre faiblesse ». Abdelkader conteste lors de son audition du 20 septembre 2020 : « je n’ai pas essayé de m’échapper, je ne voyais plus rien à cause du gaz lacrymogène ».

Le policier poursuit : « parvenons à le retenir difficilement, c’est alors que l’interpellé porteur de claquettes tombe lourdement sur le ventre au sol. Constatons immédiatement que la chute lui provoque un saignement au niveau de la lèvre inférieure. (…) Ne menottons pas l’auteur des faits qui semble totalement calmé par sa chute et clame qu’il n’a rien fait ». Voilà comment les policiers vont ensuite justifier les blessures du collégien. Abdelkader n’était pas menotté. Alors pourquoi ne pas se protéger, par réflexe, avec ses mains ? Comment sa bouche peut-elle heurter le sol ?

Le policier B. sera auditionné le 20 septembre dans la nuit, vers 4h du matin. Il maintient cette version où il affirme avoir vu l’adolescent jeter « un projectile non identifié » sur d’autres policiers avant de fuir ; au moment où il le rattrape, il raconte que sa « main droite a heurté la poignée de [s]a bombe lacrymogène de dotation qui s’est brisée et dont le contenu s’est vidé ». Sur l’origine des blessures d’Abdelkader, il réaffirme :

Extrait du PV du 21 septembre 2020 du policier B.
aujourd’hui accusé de violences sur mineur

Pourtant, les déclarations des deux autres policiers présents sur place ne corroborent jamais cette version, puisqu’ils disent tous deux n’avoir vu que la fin de l’interpellation. Ils nient donc avoir vu des coups portés par le policier B. Le premier collègue dit avoir entendu le policier B. dire « Putain, m’a gazeuse vient d’exploser » après avoir entendu « une grande déflagration » alors qu’il ne voyait déjà plus rien. Et la seconde collègue explique, elle, avoir « entendu un gros bruit de décompression. J’ai également vu le gaz lacrymogène s’échapper de la bonbonne et se répandre sur les collègues, sur un homme et tout autour d’eux. »

« Je me disais qu’on verrait les caméras et qu’ils verraient que je n’ai rien inventé »

Dans la nuit du 19 au 20 septembre, un autre policier accuse Abdelkader et porte plainte contre lui pour « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique », sans être capable de le reconnaître ni de le décrire; de plus, ce policier L. dit arriver sur les lieux à 22h15, alors qu’Abdelkader est déjà placé en GAV depuis 35 minutes.

Extrait du dépôt de plainte du policier L., dans la nuit du 19 au 20 septembre 2020

Abdelkader se demande encore aujourd’hui comment cette plainte a pu être reçue :

« Ça n’a pas de sens ! Tu portes plainte contre quelqu’un et t’affirmes ne pas l’avoir vu faire quelque chose de mal ! (…) A ce moment-là, je suis choqué, je me dis pourquoi inventer de tels mensonges ? Dès le début je me disais que l’affaire serait simple, qu’on verrait les caméras et qu’ils verraient que je n’ai rien inventé, que je suis la victime de A à Z ».

« Ça n’a pas de sens ! Tu portes plainte contre quelqu’un et t’affirmes ne pas l’avoir vu faire quelque chose de mal ! (…) A ce moment-là, je suis choqué, je me dis pourquoi inventer de tels mensonges ? Dès le début je me disais que l’affaire serait simple, qu’on verrait les caméras et qu’ils verraient que je n’ai rien inventé, que je suis la victime de A à Z ».

Pourtant, les caméras ne seront d’aucun recours, comme dans beaucoup d’affaires de violences policières. « Constatons que la caméra donne sur un parking. (…) Il apparaît que les faits se sont alors déroulés sur la gauche de l’angle de vue mais hors champs » note un policier dans son PV.

 « Deux procédures »

L’adolescent alerte des violences policières qu’il a subies dès sa première audition le 20 septembre dans la matinée, en garde-à-vue : il précise avoir « reçu un coup de gazeuse lacrymogène sur le visage et deux autres coups que je n’ai pas identifié au niveau de la tête et un coup sur l’épaule. » Les questions qui lui sont alors posées reprennent la version policière, le présentant notamment comme un lanceur de projectile qui tente de s’échapper :  

Extrait de l’audition d’Abdelkader du 20 septembre 2020

A la fin de cette première audition, Abdelkader réaffirme avoir reçu un coup et précise se souvenir de la tête du policier, qu’il décrira comme « chauve » dans une future audition. 

Lorsque sa famille vient le chercher à sa sortie de GAV, c’est le choc : « en me voyant dans cet état elle a paniqué… Ma mère m’en parle encore aujourd’hui » se remémore Abdelkader. « Je l’ai récupéré pieds nus, sa bouche toute enflée et en sang. J’ai pleuré en le voyant comme ça, j’étais choquée. Il fallait que je porte plainte » témoigne sa mère. Ce soir-là, une amie de sa sœur photographie le jeune homme et poste l’image sur les réseaux sociaux suivie d’un message d’alerte sur les violences policières.  Le lendemain, Abdelkader revient au commissariat avec sa mère pour déposer plainte.

Abdelkader d’abord accusé de « violences » puis de « rébellion »

Quatre jours après sa première GAV, le 24 septembre, les policiers appellent la mère d’Abdelkader ; il est de nouveau convoqué. L’ado est alors replacé une deuxième fois en GAV, cette fois pour « rébellion en réunion avec arme » et « provocation directe à la rébellion ».  À nouveau, c’est la stupéfaction. Pourquoi avoir requalifié les faits et prononcé une nouvelle GAV sur ce mineur ? 

« Je l’ai perçu comme un coup de pression pour ne pas les poursuivre en justice. » estime Abdelkader. « Je me suis senti trahi, je partais pour un rendez-vous simple et je me suis fait remettre en garde-à-vue gratuitement ».

« Je l’ai perçu comme un coup de pression pour ne pas les poursuivre en justice. » estime Abdelkader. « Je me suis senti trahi, je partais pour un rendez-vous simple et je me suis fait remettre en garde-à-vue gratuitement ».

Me Olivier Forray, avocat d’Abdelkader, revient sur cette requalification,
de la « violence » à la « rébellion »

Dans la confrontation entre Abdelkader, le policier B. et le chef de bord du policier B., aucune question ne sera posée aux policiers sur les coups que dénonce le jeune garçon. En revanche, lors de l’audition d’Abdelkader, les interrogations sont multiples autour de ce post sur les réseaux sociaux :

Extrait de l’audition d’Abdelkader, du 24 septembre 2020

Une relaxe pour Abdelkader et un classement sans suite pour sa plainte

Abdelkader est déféré devant le juge des enfants, le même jour. Il est mis en examen et placé en liberté surveillée jusqu’à sa relaxe, plus d’un an après, le 12 octobre 2021. La juge des enfants motive sa décision en termes explicites :

Extrait du jugement du 12 octobre 2021

Le procureur ne fera pas appel.

En parallèle, la procédure menée pour les violences policières subies par Abdelkader a pris fin, elle, le 16 novembre 2020 sur un classement sans suite. Elle a été prise en charge, non pas par l’IGPN mais déléguée au « Pôle commandement, discipline et déontologie » (PCDD), c’est-à-dire la « cellule déontologie » locale (lire notre dossier).

Quelles ont alors été les investigations complémentaires menées pour Abdelkader par cette « cellule déontologie » ? Quelles sont les séquelles du jeune garçon ? Un prochain article sera publié sur Flagrant déni mardi prochain.

Abdelkader pointe les défaillances de l’enquêteTranscription

la redaction de flagrant deni

Partager l’article

A lire également