L’hélico de police, un mouchard de haut vol

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Temps de lecture : 6 minutes 7 péchés capitaux de la police lyonnaise #3. Lyon est la ville de France la plus surveillée par l’hélicoptère, qui est aux mains de la BAC. Ce vendredi, un manifestant saisit le tribunal administratif pour que l’appareil reste au sol : pour l’instant, son utilisation par la police est toujours illégale.

ILLUSTRATION PAR LAURA

Tout comme le ministre de l’Intérieur, nous avons repéré une série de « péchés capitaux » de la police. Jusqu’à la fin du « Beauvau de la sécurité », nous publierons une série d’informations, souvent inédites, toujours vérifiées.

20 mars 2021, 16 heures, un hélicoptère survole la rue Vauban, à Lyon. Une manifestante raconte : « on a pensé que c’était pour nous, et on s’est dit : on est devenus paranos : ils vont pas envoyer l’hélico pour quelques centaines de personnes ?! Et puis l’hélico s’est mis à nous tourner autour. En fait si, c’était pour nous ! ». Selon Le Progrès, seulement 500 personnes ont défilé ce jour-là. Cause probable du décollage de l’hélico : après 15h heures, une partie du cortège, ne connaissant pas le trajet prévu, est parti dans la mauvaise direction, faisant probablement croire à la police à un départ en manifestation sauvage. C’est que l’hélicoptère fait désormais partie des moyens habituels de « maintien de l’ordre ». En France, son utilisation policière semble remonter au début des années 2000. En 2002, un hélicoptère est signalé lors du 1er mai contre l’extrême droite, à Paris. En 2005, pour mater la révolte des banlieues, le Gouvernement décide « pour la première fois l’utilisation d’hélicoptères dans une situation de violence urbaine. “Une décision lourde” selon Claude Guéant », qui dirigeait alors le cabinet du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy

La France survolée en permanence par un hélico de police

La décision « lourde » est désormais banalisée : d’après un rapport détaillé de l’inspection générale de l’administration (IGA) daté de 2016, les hélicoptères de la gendarmerie réalisent chaque année plus de 9000 heures de vol pour des missions de police (sans compter les missions de secours), soit 25 heures par jour en moyenne. Autrement dit, il y a toujours un hélico de police en vol sur le territoire français. A Lyon, l’hélicoptère ne semble avoir été utilisé qu’à partir de 2007, lors du mouvement étudiant contre la loi « LRU » et dans les quartiers populaires (comme à Firminy en juillet 2009), mais de façon sporadique. Son utilisation s’intensifie progressivement à l’occasion du mouvement contre les retraites (octobre 2010), et pour certains matchs de football. Le 26 juin 2014, l’hélicoptère vient survoler la soirée du match Allemagne-Algérie – en plus des 500 policiers mobilisés : « Nous n’avons jamais déployé une telle force depuis les émeutes urbaines de 2010 à Lyon », précise Albert Doutre, à l’époque directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) du Rhône. De dispositif exceptionnel, l’hélicoptère se banalise avec les manifestations contre la loi « Travail » au printemps 2016, puis avec les manifestations de Gilets jaunes à partir de décembre 2018.

Lyon, la ville la plus surveillée par l’hélico

Le rapport de l’IGA publie pour 2015 le détail des interventions en hélicoptère de chaque base de gendarmerie. Et, surprise : Lyon arrive en tête des sorties pour des motifs policiers. Même Paris, agglomération sept fois plus importante que Lyon, à la vie politique et sociale autrement plus mouvementée, ne compte pas autant de sorties policières d’hélicoptère.

Pourquoi Lyon plus qu’ailleurs ? Mystère, d’autant que Lyon reste une ville dont les mouvements sociaux demeurent globalement modérés. Une piste cependant : le rôle d’Albert Doutre. En novembre 2008 à Bordeaux, et « pour la première fois », l’appui aérien de l’hélicoptère est sollicité par la DDSP lors d’un match de football (Ouest-France, 22 novembre 2008). Le DDSP en place est Albert Doutre. En septembre 2010, celui que ses subordonnés nomment le « Bulldozer » arrive en poste à Lyon. Peu à peu à partir de cette période, l’utilisation de l’engin volant s’intensifie. Or, l’intéressé a été dénoncé par plusieurs de ses collègues pour avoir sous-facturé les prestations de sécurité lors de matchs de football, parmi lesquelles justement l’utilisation de l’hélicoptère. Faut-il voir un lien entre les deux pratiques du DDSP ?

A Lille et Marseille, la police se passe de son joujou

« Pas forcément, répond une source policière au Comité. C’était aussi l’évolution d’une politique nationale. Mais il est vrai que certains DDSP utilisent peu les hélicos. L’utilisation de l’hélicoptère, c’est soit une décision du directeur, soit du préfet, mais en général, le DDSP propose le dispositif et le préfet dit oui ou non  ». Ce qui est certain, c’est que les bases françaises les plus mobilisées par la police sont sans exception celles qui comportent des hélicoptères de type « EC-135 », ceux spécialement équipés pour les missions de police. A l’inverse, deux des plus grandes agglomérations de France, Lille et Marseille, sont très peu surveillées par l’hélicoptère, en comparaison d’autres villes. C’est ce qui résulte d’une revue de presse détaillée, confirmée par des observateurs locaux de la police. Et pour cause : les deux villes sont respectivement à 60 et 100 km d’une base. Quand elle a son joujou, la police en abuse. Sinon, elle arrive visiblement très bien à s’en passer. Le rapport de l’IGA critique d’ailleurs le fait que la dotation de chaque base en hélicoptère est réalisée « sans corrélation évidente avec les niveaux d’activité ». Autrement dit, l’utilisation de l’hélicoptère de police est plus un luxe qu’une réelle nécessité.

« BAC hélico »

A Lyon, la section aérienne de gendarmerie (SAG) basée à Bron compte six pilotes, six mécaniciens et deux hélicoptères, dont seul l’un d’entre eux est apte à voler au-dessus de l’agglomération : l’ « EC 135 ». Il peut voler à près de 300 km/h, jusqu’à 6000 mètres d’altitude, et dispose d’une autonomie d’environ 700 km et 3 heures de vol. Les jours de manifestation, il attend à la base. Dès qu’il reçoit l’ordre de décollage, ses occupants (en général trois gendarmes et un policier) montent à bord. 15 minutes plus tard, il survole le centre-ville. Signe de la mainmise de cette brigade sur le maintien de l’ordre, c’est toujours un fonctionnaire de la BAC qui est à bord, au point que l’indicatif de l’appareil dans les échanges radio de la police est « BAC hélico ». Le gardien de la paix qui monte à bord échange en continu avec la police au sol par radio, et dirige la « boule optronique », la caméra et le zoom « qui permet de lire à 300 mètres d’altitude une plaque d’immatriculation située à un kilomètre, d’identifier une personne à 2 km et un véhicule à 4 km » – et ce de jour comme de nuit, grâce à la vision thermique. Le projecteur lui, est vanté comme permettant d’éclairer « un stade de football à 300 mètres », avec un phare de 1600 watts (300 fois ceux d’une voiture). En banlieue ou en centre-ville, les scènes de poursuites en pleine nuit dignes des meilleurs films dystopiques sont désormais courantes.

Démonstration de force à 67 millions

Mais au fait, que fait vraiment l’hélico de la police ? D’après le rapport de l’IGA en 2016, les hélicoptères sortent très peu pour des missions de sécurité routière (quelques centaines de missions par an avec une tendance à la baisse), et beaucoup pour des missions de police administrative (maintien de l’ordre) ou de police judiciaire (assistance pour des interpellations, etc.). En pratique, les vidéos sont utilisées comme preuves judiciaires lors des enquêtes et des procès, et facilitent l’interpellation des personnes et la direction du maintien de l’ordre. Mais l’hélicoptère semble surtout marquer une volonté de « démonstration de force, pour laquelle les pilotes ont parfois reçu la consigne de ‘‘faire du bruit’’ au-dessus des manifestants », comme le révélait le Point en 2019. L’ancien adjoint à la sécurité de la ville de Lyon Jean-Yves Sécheresse dénonce lui-même « le côté anxiogène  » de l’engin : «  Ça provoque une ambiance terrible alors que la Ville n’est pas à feu ni à sang » (Le Progrès, 27 avril 2019). Au total, le rapport de l’IGA dénonce «  un niveau d’activité dont la pertinence est difficile à évaluer ». Il faut dire que les coûts sont exorbitants : le budget national annuel des hélicoptères de gendarmerie, qui assurent essentiellement des missions de police (16 % de sécurité civile seulement), est de 67 millions d’euros. Un chiffre qui ne prend pas en compte l’achat des appareils : environ 6 millions pour un seul EC-135.

« Troisième dimension » de la surveillance

Toujours selon l’IGA, il faut compter 1 800€ pour une heure de vol. A raison de 6 000 heures de vol juste pour le maintien de l’ordre, la facture nationale s’élève à 11 millions d’euros annuels. De 18 737 heures totales de vol en 2015, la gendarmerie est passée à 19 300 en 2019, pressurisation des manifestations de Gilets jaunes oblige. En 2020, le commandement a décidé de réduire l’activité à 18 000 heures de vol. Mais c’est surtout la sécurité civile qui va baisser : «  la partie secours me sembl[e] naturellement dévolue à nos camarades sapeurs-pompiers », prévient le directeur général de la gendarmerie. Et la « troisième dimension » de la surveillance, celle du ciel, va s’étoffer. Aux 56 hélicoptères de gendarmerie déjà répartis sur 33 bases en France, s’ajoutent les drones, dont le ministère de l’Intérieur dispose déjà de plusieurs centaines. Pourtant, sur la terre ferme, les dispositifs de captation d’images par la police sont déjà foison : caméramen des escadrons de gendarmes mobiles ou de CRS, qui filment depuis 2009 au moins, « caméras piétons » des policiers, expérimentées depuis 2012 et en voie de généralisation, réseaux de vidéosurveillance des villes, mais aussi caméras des agents en civil du « renseignement territorial » (ex-RG), qui filment à l’aide de simples smartphones.

Le tribunal administratif de Lyon saisi

Les articles 22 et 22 bis de la loi pour une sécurité globale prévoient que « lors de leurs interventions, les autorités publiques […] peuvent procéder, au moyen de caméras équipant leurs […] aéronefs […] à la captation, à l’enregistrement et à la transmission d’images », notamment pour « prévenir les incidents au cours des interventions », « faciliter le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs » ou encore « assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ». Ces articles définitivement adoptés par le Parlement le 15 avril dernier, n’entreront en vigueur qu’une fois leurs décrets d’application publiés, après avis de la CNIL. En attendant, la surveillance par drone ou hélicoptère demeure illicite. Comme souvent en matière de fichage, la pratique policière a précédé l’encadrement légal : encore une fois, c’est la police qui a fait la loi. Dans la suite du gros travail juridique effectué par la Quadrature du net sur les drones, un manifestant saisit ce jeudi le tribunal administratif de Lyon en « référé-suspension », avec le soutien du Comité. Il demande le maintien de l’appareil au sol tant que les décrets d’application ne sont pas publiés. Sous la pression des juges, la police sera peut-être enfin forcée de respecter la loi.

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