Affaire Luis Bico : la Cour de cassation valide le « permis de tuer » de la police

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Temps de lecture : 4 minutes Pour la première fois, la justice valide un tir policier mortel, alors qu’il n’y avait pas légitime défense. Luis Bico ne présentait pas de danger immédiat. Mais le policier qui l’a tué, alors que des passants étaient dans sa ligne de mire, échappe à toute poursuite. La CEDH va être saisie.

ILLUSTRATION DE LAFFRANCE

Deux pages d’une froideur terrible, pour conclure sept années de combat. Et enterrer un nouveau scandale policier et judiciaire. Mercredi 15 mai, la Cour de cassation a rendu son arrêt dans l’affaire Luis Bico, tué par la police près de Montargis en août 2017. Comme elle le fait habituellement, quand aucun doute juridique n’est possible, la plus haute juridiction s’est bornée à une phrase type, sans aucune argumentation : « la Cour de cassation constate qu’il n’existe, en l’espèce, aucun moyen de nature à permettre l’admission du pourvoi ».

Un « circulez, y’a rien à voir », en langage judiciaire. Or, cette décision est hautement décisive. Elle valide, de la façon la plus officielle qui soit, le permis de tuer instauré par la loi de 2017 dans l’article L435-1 du Code de sécurité intérieure. Son promoteur, le socialiste Bernard Cazeneuve, s’en défend à qui veut l’entendre : « C’est un texte qui dit : “Vous ne pouvez tirer que lorsque vous êtes en situation de légitime défense” ». Et pourtant, c’est tout autre chose qui est désormais gravé dans le marbre de l’ordre juridique. Car dans l’affaire Luis Bico, la cour d’appel avait à la fois estimé que les conditions de la légitime défense classique ne s’appliquaient pas, mais que le nouvel article, si. La Cour de cassation valide ce raisonnement. L’article L.435-1 est donc bien un cadre plus large que la simple légitime défense.

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Pas de danger immédiat

Et même beaucoup plus large. Dans l’affaire Bico, la cour d’appel d’Orléans avait relevé que Luis Bico ne menaçait personne au moment où il avait été tué. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’y avait pas légitime défense. D’après la cour d’appel, Luis Bico était simplement « susceptible d’attenter à la vie ou à l’intégrité physique d’autrui », s’il parvenait à s’échapper. Un danger très hypothétique donc.

En revanche, le policier qui a tiré sur Luis Bico, lui, l’a fait en visant pour tuer. Il a en outre tiré alors que des passants se trouvaient juste derrière, en plein dans sa ligne de mire, comme le montrent les images exclusives publiées par Flagrant déni en avril. « Ils visaient en haut, analyse Casimiros Bico, le frère de Luis, et d’ailleurs il y a une femme qui a entendu siffler une balle. Il y a 18 tirs, mais ils n’ont retrouvé que 9 impacts sur la voiture de Luis ». Dans cette affaire, pour un danger hypothétique, la police a tué une personne, et mis en danger beaucoup d’autres. C’est ce que la Cour de cassation estime légal, sur la base de l’article L.435-1.

Regardez la vidéo
Comment la police a utilisé son “permis de tuer” sur Luis Bico

Dossier inaccessible à la famille

Cette décision est la conclusion d’un long combat, celui de la famille, face au mur aveugle de la justice. « On ne connaissait rien à la justice, donc on a fait confiance aux spécialistes, se souvient Christèle, la belle-sœur de Luis, très amère. On posait des questions, l’avocate nous disait “Ne vous inquiétez pas, c’est juridique”. Il ne fallait pas parler aux journalistes, pour ne pas énerver les juges, ni aux associations. On nous a complètement enfermés, et finalement, voilà le résultat ! ».

La famille de Luis n’a jamais pu accéder au dossier. Jusqu’au dernier jour. Dans un courrier daté du 15 mai, que Flagrant déni a pu consulter, l’avocate continue de refuser de communiquer le dossier à la famille : « je ne puis m’autoriser à vous remettre un dossier d’instruction ». Dans un dossier conclu définitivement, comme c’est désormais le cas pour celui de Luis, aucun secret n’est pourtant plus en vigueur. « En tout, on en a eu pour 21500 euros de frais d’avocat, calcule Christèle, mais on ne peut toujours pas voir le dossier ».

Contrôle d’identité de la famille à la sorte de l’audience

A la Cour de cassation, le 4 avril dernier, la plupart des personnes venues en soutien n’ont pas pu accéder à l’audience, pourtant censément publique. Sous les surplombantes moulures dorées, la famille a dû rester cantonnée derrière une sorte de muret de bois, symbole bien visible de la séparation entre la justice, et les justiciables. Derrière ce muret, une fois assis, il était à peine possible de voir les trois juges installés tout au fond de l’immense salle. L’affaire a été évacuée en quelques minutes, sans suspense. « C’est pas la justice ça, ils n’ont retenu que les faits qui les arrangeaient », peste Casimiros à la sortie de l’audience.

La famille n’a pas eu la parole, et son avocat n’était même pas présent. La police, en revanche, était bien là. Pour avoir posé quelques instants devant le palais de Justice, à la sortie de l’audience, avec des T-shirt « L.435-1 m’a tué·e » et des pancartes en mémoire de Luis, la famille et la quinzaine de soutiens présents, parmi lesquels de nombreuses victimes et familles de violences policières, ont eu le droit à un contrôle d’identité général.

Une loi « mal interprétée, mal expliquée, mal conduite »

L’affaire Luis Bico est aussi la parfaite illustration des ambiguïtés et de la dangerosité de l’article L435-1. L’Assemblée nationale doit rendre un rapport sur « la hausse du nombre de refus d’obtempérer et les conditions d’usage de leurs armes par les forces de l’ordre ». A propos de l’article L435-1, l’un des deux rapporteurs, Roger Vicot, député macroniste, estime que « la formulation de la loi est mal interprétée, mal expliquée, mal conduite ». Depuis cette loi, le nombre de personnes tuées par la police a été multiplié par cinq.

Steven R., l’auteur des tirs mortels, est à l’époque des faits un adjoint de sécurité, noté comme indiscipliné par sa hiérarchie, et doté de très peu d’expérience. Grâce à la loi de 2017, désormais durement interprétée par la Cour de cassation, il échappe à toute poursuite, définitivement. « On s’y attendait, explique Christèle. On s’en doutait, même s’il y a toujours un petit espoir. Mais on va aller à la Cour européenne, ça c’est certain, le combat n’est pas terminé ». Encore une fois, il va falloir que la CEDH vienne sanctionner la France pour que les choses bougent, peut-être. A moins qu’entre temps, l’Assemblée nationale tire les conséquences de cette loi funeste, et décide enfin de l’abroger ?

Lionel perrin

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