La violence policière érigée en doctrine

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Temps de lecture : 4 minutes 7 péchés capitaux de la police lyonnaise #1. La hiérarchie préfectorale s’autorise à couvrir certains faits. A l’heure où deux policiers comparaissent pour le tabassage d’Arthur, que peut-on attendre de « l’encadrement » de la police ?

ILLUSTRATION PAR VALFRET ÉDITION FREMOK

Tout comme le ministre de l’Intérieur, nous avons repéré une série de « péchés capitaux » de la police. Jusqu’à la fin du « Beauvau de la sécurité », nous publierons une série d’informations, souvent inédites, toujours vérifiées.

Depuis de longs mois, la violence de la police lyonnaise s’exécute par des voies particulièrement brutales. Sur une période d’un peu moins de trois ans, le Comité de liaison contre les violences policières a pu recenser à lui seul près de 80 allégations ou signalements de violences commises par la police pendant des manifestations. Il s’agit d’une estimation basse, dans la mesure où toutes les blessures–contrairement à celles des policiers–ne sontpas systématiquement répertoriées. C’est un chiffre qui invisibilise aussi l’extrême gravité de certains faits : tir tendu de grenade lacrymogène au niveau du visage (9 mars 2019),tir de LBD dans la joue d’un lycéen de 15 ans (6 décembre 2019), tabassage en règle (mais gratuit) d’un manifestant (10 décembre 2019), autres tirs arbitraires de LBD sur mineur (5 décembre 2020)… La liste est longue, horrible, et s’alourdit régulièrement.

Plus d’une enquête par semaine sur les violences policières

En dépit de ce contexte dramatique, le parquet de Lyon s’obstine à ne pas communiquer le nombre d’enquêtes judiciaires ouvertes pour violences policières. Pour pallier cette déficience, le Comité a enquêté. L’IGPN traite chaque année environ 25 enquêtes pour violences commises par des policiers à Lyon – soit environ deux par mois. Ce chiffre ne dit pas tout : la plupart des enquêtes (concernant les faits non médiatisés et les blessures de faible gravité) est confiée à un autre service, le Pôle Commandement Discipline et Déontologie, qui dépend lui aussi de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP). Ce service ne communique pas ses statistiques, mais selon nos informations, tout laisse à penser qu’il porte le total à au moins une cinquantaine de plaintes pour des faits de violence. Chaque année, la police lyonnaise fait donc l’objet d’au moins une plainte par semaine. Quand on sait les difficultés inhérentes au dépôt de plainte, ce chiffre révèle le caractère quotidien de la violence exercée sur la population par « sa » police.

Souvent, ce n’est pas l’absence de faute policière qui entraîne le classement sans suite, mais bien l’omerta qui règne dans l’institution. En décembre 2019, un policier enquêteur confiait au Comité : « C’est vrai qu’on a beaucoup de classements sans suite. Souvent, c’est que soit on n’arrive pas à identifier les policiers en cause, soit que c’est parole contre parole ». Un commentaire qui se vérifie dans les dossiers consultés par le Comité, et qui s’illustre par une histoire éloquente – celle d’Arthur.

De l’art d’« encadrer » une agression

Le 10 décembre 2019, Arthur a été passé à tabac par des policiers, place Bellecour à Lyon. Ce jour de manifestation contre la réforme des retraites, il est en train d’applaudir, juste devant un cordon de policiers (essentiellement de la BAC) quand il est soudain attrapé par un policier, qui le projette sur ses collègues. En neuf secondes, il est bousculé, roué de coups, jeté au sol. Lorsqu’il se relève quelques secondes plus tard, il a la mâchoire et neuf dents brisées.

Ainsi que l’a montré une enquête du Comité publiée en décembre dernier (voir ici et ), une dizaine de policiers ont été témoins directs ou indirects de l’agression d’Arthur. Aux abords immédiats de la scène, pas moins de quatre cadres policiers étaient présents. Les deux commandants de la BAC étaient situés juste à côté de l’agression. Un commandant, chef d’unité, a assisté directement aux faits puisque Arthur a été littéralement projeté sur lui. Un commissaire divisionnaire, directeur du service d’ordre de la manifestation ce jour-là, par ailleurs chef d’état-major (n°4) de la DDSP du Rhône a recueilli le témoignage d’Arthur – le visage ensanglanté, et moins d’une minute après les faits, alors qu’il mettait en cause les policiers présents juste derrière (voir photo).

Alors que la DDSP était donc informée des faits, elle n’a rien engagé ni rien dit pendant 24 heures, faisant obstacle à l’ouverture d’une enquête. Sur le PV de contexte, censé relater minute par minute la réalité des interventions policières, il est même écrit : « 14h38, un individu blessé place Antonin Poncet (dents cassées). Origine des blessures ignorée». Il aura fallu attendre la diffusion des images dans les médias pour que le parquet soit informé et ouvre une enquête, qui a valu à (seulement) deux policiers d’être renvoyés devant le tribunal correctionnel de Lyon ce mardi 23 février 2021.

Cette omerta fait froid dans le dos, car elle concerne des actes pourtant perpétrés sur la place publique, au vu et au su de tout le monde. La scène s’est déroulée sous les yeux les cadres de la CGT du Rhône, et les chefs de la police lyonnaise ne pouvait ignorer également qu’ils étaient filmés et photographiés. Ils ont fait le choix du silence alors que les faits avaient toutes les chances d’être rendus publics.

Alors que le « Beauvau de la sécurité » s’attelle aujourd’hui à l’encadrement policier, il n’est donc pas inutile de rappeler que quatre chefs de la police lyonnaise étaient juste à côté de la scène de l’agression d’Arthur – et que la DDSP a de fait couvert les faits. On ne peut s’empêcher d’imaginer toutes les affaires ainsi étouffées : les tabassages au commissariat, ou les coups portés dans la rue, dans les quartiers où la parole des habitant-es ne pèse rien par rapport à celle de la police. Ce que démontre l’histoire d’Arthur, c’est que tant la violence arbitraire que l’omerta des chefs sont constitutives de l’institution policière, à tous les échelons hiérarchiques.

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